Après la parole des parents indignés et des psys réprobateurs, voici celle des avocats exaspérés. Réunis la semaine dernière pour un forum spécialisé de l’Ordre des avocats de Genève, consacré aux rapports du Service de protection des mineurs (SPMi) et aux expertises familiales, des avocats en droit de la famille montent à leur tour au créneau devant le nombre d’affaires qui conduisent à éloigner un enfant d’un de ses parents. Ils fustigent la manière de réaliser les expertises psychiatriques, leur poids devant la justice et le fonctionnement du SPMi: «Nous ne sommes pas étonnés que ce thème débarque sur la place publique. Car nous constatons aussi que ces expertises cristallisent les positions et qu’elles permettent rarement de préserver le lien entre enfant et parent comme il le faudrait», résume Me Diane Broto.

Pétition et motion au Conseil d'Etat

Depuis quelques semaines, la situation des parents privés de leurs enfants dans les divorces hautement conflictuels fait débat en Suisse romande. A Genève, le collectif Printemps de l’égalité coparentale en Suisse dénonce l’arrachement de leurs enfants, confiés à l’ex-conjoint ou placés en foyer. Désormais soutenus par des psys, ils ont été auditionnés par la Commission des droits de l’homme du Grand Conseil.

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Une pétition de 1300 signatures a aussi été remise au parlement, et une motion réclame au Conseil d’Etat des comptes sur la gestion du SPMi. Un autre mouvement, Touche pas à mon enfant – CH, défile depuis des semaines dans les villes romandes pour dénoncer les placements jugés abusifs. Interpellés sur le rôle de l’institution judiciaire, deux juges du Tribunal civil et du Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (TPAE) ont assuré au Temps que la justice n’était en rien otage de ces expertises ou du SPMi.

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Pas de contre-expertises

Ce n’est pas l’avis de la dizaine d’avocats réunis pour en parler. «Après un tour de table, aucun d’entre nous n’a pu citer un seul cas pour lequel la justice s’est écartée des conclusions de l’expertise, explique Me Magda Kulik. Pas plus qu’elle n’ordonne de contre-expertises. Ce qui signifie que le cas est définitivement scellé une fois l’expertise établie.»

Quand une séparation débouche sur une franche hostilité, il échoit au SPMi, où un premier intervenant social évalue la situation. Le tribunal peut ensuite ordonner une expertise familiale, laquelle tiendra compte aussi du rapport du SPMi, et sur laquelle la justice se fondera. Faut-il dès lors crier à la connivence institutionnelle, comme le font les parents disqualifiés? A entendre ces avocats, on n’en est pas très loin: «On constate que l’intervenant du SPMi donne une ligne directrice dont l’expert ne va pas s’écarter, poursuit Magda Kulik. Le parti pris du SPMi – car il faut bien parler de parti pris pour un parent en défaveur de l’autre – va ressortir dans l’expertise.»

Des questions orientées

Les avocats présents se prennent à rêver d’un système où l’avis d’une institution n’en influencerait pas une autre. A entendre Me Anne Iseli Dubois, ce n’est pas pour demain: «Les assistants sociaux du SPMi rendent des conclusions qui ont un poids phénoménal. Pour la plupart ils sont jeunes, pas toujours bien formés, et surchargés. L’absentéisme est d’ailleurs problématique.»

Me Olivier Seidler lui emboîte le pas: «Ensuite, les questions des experts sont souvent orientées de manière à confirmer un diagnostic qu’ils semblent déjà avoir posé. Parfois, ils écartent ce qui ne leur convient pas. L’expertise est souvent rédigée à la manière d’un puzzle où l’on a sélectionné les pièces qui intéressent pour les assembler afin d’arriver à la conclusion voulue.» Selon les avocats, nombre d’expertises confiées au Centre universitaire romand de médecine légale (CURML) sont parfois le fait de médecins sans titre FMH en pédopsychiatrie ou en psychiatrie adulte et sont avalisées par une doctoresse qui n’a pas toujours elle-même rencontré les familles. Celle-ci a d’ailleurs fait l’objet d’une enquête interne des Hôpitaux universitaires genevois, qui l’a mise hors de cause.

Préparer au déshabillage psychologique

Cela n’a pas calmé les esprits pour autant. Si bien que les avocats continuent de préparer leurs clients avant le grand déshabillage psychologique qui décidera de leur destin de parents: éviter de passer de l’autoritarisme à la séduction, ce qui pourrait leur valoir l’attribution du trait «manipulateur»; ne jamais parler de soi, mais de l’enfant; ne pas laisser supposer qu’ils se montrent directifs lors des jeux avec les bambins; soigner leur apparence, mais sans ostentation. Des ficelles qui manifestement ne suffisent pas à tromper l’œil avisé des experts, remarquent-ils en manière d’autodérision.

«En revanche, bien qu’ils soient entendus, les propos des psychiatres indépendants sont parfois totalement ignorés, alors même qu’ils suivent les personnes depuis de longues années», regrette Me Diane Broto. Les experts ne prennent pas que des volées de bois vert. Me Caroline Ferrero Menut, qui travaille aussi en tant que curatrice représentant les enfants, trouve auprès d’eux une écoute attentive: «La collaboration se passe bien et ils explorent les pistes que j’évoque.» Mais les curateurs coûtent cher, peu sont donc les enfants représentés.

Finalement, c’est vers les juges que les espoirs se tendent: favoriser la garde alternée, «même si les institutions n’ont pas encore intégré que le Code civil la préconise désormais», remarque Magda Kulik. Mais si la parole des psys reste lettre d’Evangile, celle des parents écartés, négligeable en regard, gagnera en intensité.