Dans les rues de la Vieille-Ville de Genève, dimanche à midi, les sportifs s’entraînant à la course de l’Escalade ont été stoppés net dans leur élan: le cortège euphorique des Verts et du PS leur barrait la route. C’est une course plus longue que ceux-ci viennent de gagner, «commencée sous la canicule et terminée en manteaux d’hiver», selon les mots de l’écologiste Lisa Mazzone, arrivée en tête au Conseil des Etats, suivie de près par le socialiste Carlo Sommaruga.

La victoire était attendue, après un premier tour qui ne laissait pas planer le doute. Mais le second tour confirme l’écart énorme (19 000 voix) que le duo rose-vert inflige à la droite, malgré un taux de participation très bas (32,8%). Il serait trop court de mettre ce succès sur le compte de la vague verte. C’est avant tout deux personnalités fortes que Genève a plébiscitées, au bénéfice d’un bilan reconnu. «Notre force a aussi été dans notre duo soudé, déclare Lisa Mazzone. Notre complicité s’est ressentie, ainsi que la cohérence de notre programme.» Savoir: «Les valeurs écologistes et post-matérialistes d’un côté, la défense des plus fragiles de l’autre», résume la députée socialiste Carole-Anne Kast.

Lire aussi: Au Conseil des Etats, un duo vaut mieux qu’un duel

Cette victoire attendue ravit un PS quelque peu secoué après la perte d’un siège au Conseil national, dû probablement à la victoire de Jocelyne Haller d’Ensemble à gauche, laquelle a finalement refusé son siège sous la Coupole. Le président du PS genevois, Gérard Deshusses, relève avec satisfaction «qu’avec moins d’électeurs au second tour, notre candidat fait plus de voix».

Le duo, très à gauche de l’échiquier politique au parlement, pourra-t-il faire entendre sa voix au Conseil des Etats? Lisa Mazzone n’en doute pas, malgré la différence de culture politique entre les deux Chambres: «Les moyens d’action seront différents. L’activisme et les rapports de force aux Etats ont moins cours au National, en revanche les possibilités de dialogue sont plus grandes et les leviers avec l’administration possibles.» Gérard Deshusses, lui, estime «qu’il est ridicule de faire de nos candidats des sorcières en les taxant d’extrême gauche, ce que le peuple a bien compris en infligeant un désaveu à la droite». Pour Carlo Sommaruga, cette victoire est aussi la démonstration que «l’hégémonie idéologique du PLR ne porte plus comme avant».

Coups de griffe au sein de l’Entente

C’est peu dire, le parti bourgeois ayant raté le retour qu’il ambitionnait au Conseil des Etats, après douze ans de règne de la gauche, prolongé ce dimanche. Si la défaite était prévisible, elle est tout de même difficile à encaisser pour Hugues Hiltpold, «une première en dix-huit ans», car il espérait un score moins cuisant.

On a dit le manque de charisme du candidat et de sa colistière PDC Béatrice Hirsch, arrivée quatrième tout juste devant l’UDC Céline Amaudruz; mais cette évidence ne suffira pas à la droite qui, cette semaine, mettra sur la table d’autres constats fâcheux. Les affaires qui l’ont empoisonnée d’abord, l’affaire Maudet en tête, démobilisant un électorat qui d’habitude répond à l’appel. Les candidats ont pu s’en rendre compte lors de la campagne, sur les marchés, où ils ont essuyé de trop nombreux quolibets. Sa désunion ensuite, qui n’apparaît que plus évidente à la lumière de l’exemple vaudois, où le PLR Olivier Français a réussi son pari grâce au retrait du candidat UDC.

A Genève, Céline Amaudruz, qui «déplore que la droite ne puisse travailler ensemble», n’a pas eu cet esprit de sacrifice. L’eut-elle démontré que la victoire n’aurait pas été acquise pour autant. Enfin, plusieurs coups de griffe ont été portés au sein de l’Entente, notamment par les Jeunes PLR et UDC qui avaient appelé la droite à s’unir, excluant le PDC. Tout concourait à un message brouillé.

Lire aussi: L’éternel échec de la droite genevoise au Conseil des Etats

Faible, l’Entente ne va pas pouvoir faire l’économie, cette semaine, d’une remise en cause. En juin, la présidence du PDC avait déjà évoqué l’idée de quitter ce tandem considéré comme boiteux, mais une assemblée générale en avait décidé autrement. Il apparaît, à la lumière de la défaite, que la question se reposera avec plus de force. «Aujourd’hui, l’Entente n’a plus lieu d’être, estime Béatrice Hirsch, qui termine quatrième. Plus grave encore, elle est mal comprise par les électeurs qui nous sentent divisés sur de nombreux sujets, notamment l’Europe.»

A l’heure de l’autocritique, le président du PLR, Bertrand Reich, s’il ne regrette pas une alliance contre nature du point de vue des valeurs avec l’UDC, admet «ne pas avoir su communiquer que nous sommes d’abord le parti des entrepreneurs. Reste à voir comment la gauche va gérer le succès, alors qu’elle doit porter un canton dont les opinions ne sont pas toujours les siennes.» Laconique et visiblement très remonté par ce résultat, le conseiller national Christian Lüscher lance: «Les élections municipales sont pour bientôt, on ne peut pas continuer comme ça.» Alors que la gauche savoure sa victoire, la droite pourrait affronter une crise interne des plus sérieuses.