A Genève, brûle-t-on celui qu’on a adoré, à l’instar de la France? Non pas. On dirait bien que l’affaire Tariq Ramadan rend la gauche mutique. On la sait en effet très divisée sur la question de l’islam politique et de la laïcité. Or, ce sont précisément ces thèmes qui refont surface à la lumière du scandale autour de l’islamologue.

Stéphane Guex Pierre, conseiller municipal du Parti radical de gauche en Ville de Genève, résume ainsi cette ligne de fracture: «Sur les réseaux sociaux, on voit deux fronts: quelques partisans de Tariq Ramadan, dans le déni. Et des militants laïcs qui se félicitent d’avoir de longue date alerté sur les dérives de son double discours. Mais ces deux fronts se parlent de mur à mur, sans échanger.» Si la gauche nourrit des réserves, c’est aussi qu’elle craint, pour une frange en tout cas, que son idéal de multiculturalisme n’en prenne un coup, ou que ses propos soient récupérés par l’extrême droite.

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Une question ultrasensible

Au Parti socialiste, c’est le silence. Ou alors, comme la conseillère aux Etats Liliane Maury Pasquier, on botte en touche: «Je n’ai pas d’opinion, je ne l’ai jamais rencontré. Que la justice se saisisse de ce qui est justiciable.» Le conseiller national Carlo Sommaruga, lui, pointe un faux débat: «Le problème, c’est que le débat sur l’islam se personnalise. Je suis réticent à ouvrir un débat politique dès lors que la justice s’en saisit.» Chez les Verts, la question est ultrasensible: «C’est trop frais pour un débat, même si nous avons des échanges, explique Mathias Buschbeck, chef de groupe au Grand Conseil. Il faut à la fois garder la distance critique, respecter la présomption d’innocence ainsi que les victimes. Mais je suis heureux que la parole soit libérée.»

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Il faut aller chercher l’ancien élu vert Patrice Mugny pour avoir une opinion tranchée. Rédacteur en chef du Courrier dans les années 1990, il invite dans ses pages des personnalités à un dialogue interreligieux, dont Tariq Ramadan. Ses propos provoquent vite la colère des lecteurs. L’islamologue affirme notamment que le voile est une libération de la femme, ou que le Coran autorise à frapper les femmes, selon un article d’archives du Journal de Genève de 1994.

Les bémols qu’il met à cette dernière thèse n’y suffiront pas, Patrice Mugny met fin à l’exercice: «C’était un dialogue de sourds, se souvient-il aujourd’hui. De plus, j’ai constaté que le discours de Ramadan changeait diamétralement selon les publics auxquels il s’adressait en conférence. Aux Occidentaux, il servait l’intégration; aux musulmans, la conquête des esprits occidentaux par la suprématie de l’islam.» Pour lui, «le terrorisme est moins dangereux que l’islam politique».