Médias
Manuel Tornare a déposé une interpellation au Conseil national, demandant de garantir l'existence de la TV au bout du lac. Il craint que le transfert déjà programmé du studio 4 sur le futur campus de l'EPFL ne préfigure un départ caché

Et si Lausanne s’apprêtait à grignoter la télévision, morceau après morceau? C’est la crainte d’une partie de la députation genevoise au Conseil national, qui a déposé une interpellation en septembre dernier. Elle demande au Conseil fédéral de garantir l’existence de la TV dans la Cité de Calvin.
A l’origine de son courroux, le transfert du mythique studio 4 ainsi que des cars de reportage TV, actuellement basés à Meyrin, sur le futur campus de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Le saint des saints des campus universitaires accueillera en effet quelques activités télé, ainsi que toute la production radio, actuellement à la Sallaz sur les hauts de Lausanne, dont les bâtiments seront vendus.
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«C’est la ligne rouge à ne pas franchir!, s’indigne Manuel Tornare, à l’origine de l’interpellation. On a déjà laissé partir Radio Genève, un triste épisode. Actuellement, on assiste à une concentration des journaux privés à Lausanne. Et voilà maintenant qu’une partie de la télé déménage, au prétexte que Genève est excentrée!» Au mépris, ajoute-t-il, d’un arbitrage du Conseil fédéral de 1959 qui confiait la radio à Lausanne et la TV à Genève.
L'EPFL, cet «Etat dans l'Etat qui jouit de complicités»
Et le conseiller national socialiste d’invoquer l’Histoire, le fédéralisme, l’identité cantonale, l’instinct naturel de conservation du patrimoine, les anciennes afflictions… et de déplorer, de manière volontairement colorée, l’irrésistible attrait exercé par l’EPFL, «un Etat dans l’Etat qui jouit de nombreuses complicités à Berne». Cette rancœur s’appuie sur un méchant souvenir: le voyage en Suisse du président François Hollande, lequel, en route pour Berne, fit un stop à Lausanne sans poser le pied à Genève. Manuel Tornare l’a encore en travers de la gorge.
Au-delà des antiques rivalités lémaniques, le socialiste n’est pas le seul à craindre que la TV, sournoisement, fasse ses bagages pour s’en aller plastronner chez les Vaudois. Il a obtenu un soutien de la gauche à la droite dure, les Verts Anne Mahrer et Ueli Leuenberger, le PDC Guillaume Barazonne, le PLR Hugues Hiltpold, le MCG Roger Golay, ainsi que les socialistes valaisan Mathias Reynard et neuchâtelois Jacques-André Maire. «Cette interpellation est un cri du cœur contre le phagocytage de la télévision, explique Hugues Hiltpold. Si je comprends qu’on ne puisse pas rénover le studio 4 à Genève pour des raisons pratiques, je voudrais éviter l’effet siphon dans la baignoire.»
Gilles Marchand: une question de normes de sécurité
De fait, quels sont les risques? Nuls, à en croire le directeur de la RTS Gilles Marchand: «La RTS développe actuellement à Genève trois studios TV, dédiés pour le premier à l’actualité, pour le second aux magazines et pour le troisième aux sports. En revanche, le studio 4 ne pourra plus être exploité, car il ne répond plus aux normes de sécurité en vigueur. Il sera remplacé par un studio lausannois capable d’accueillir des enregistrements en public.»
A Genève, on ne comprend pas l’intérêt de l’offrir au campus de Patrick Aebischer au lieu de moderniser l’existant. D’autant plus que la tour TV a été rénovée et désamiantée à grands frais – 50 millions de francs. Réponse de Gilles Marchand: «Si nous avons remis la tour à neuf, ce n’est pas pour nous en débarrasser. Par contre, rénover les studios aux pieds de la tour nous aurait coûté plus cher que faire du neuf. Car cela aurait supposé de délocaliser la production, les équipements techniques et les collaborateurs. Un non sens économique.» En revanche, le transfert de quelques activités télé à l’EPFL lui paraît frappé au coin du bon sens, arguant que la construction d’un nouveau bâtiment s’amortit sur une longue période en augmentant la valeur du patrimoine et en diminuant les coûts d’exploitation annuels. «Ce d’autant que sur les quelque 100 millions qui seront investis à l’EPFL, nous récupérerons 55 millions en vendant à l’Etat de Vaud les bâtiments de la Sallaz», complète le patron.
Au moment où 250 emplois vont être supprimés
Des arguments qui laissent de marbre Manuel Tornare, remonté qu’on puisse investir des millions à l’heure où la SSR annonce la suppression de 250 emplois. Gilles Marchand, lui, tient à la séparation des dossiers: «On travaille sur ce projet depuis quatre ans, bien avant d’apprendre qu’il nous faudrait faire des économies de personnel. Des investissements doivent être consentis aujourd’hui pour assurer la pérennité et l'efficacité des activités de la RTS, indépendamment des mesures d’économies structurelles auxquelles elle est confrontée.»
Il rappelle aussi que les modes de production ont évolué, et qu’il y a de la radio à Genève, de la TV à Lausanne et du web partout. «Aussi, Manuel Tornare devrait se réjouir de ce que Genève ait une activité audiovisuelle dynamique, et ne pas compter le nombre de mètres carrés dédiés par média!», plaisante Gilles Marchand. Un mélange des genres qui ne ravit pas tout le monde. Si la socialiste vaudoise Ada Marra ne croit pas à un déplacement insidieux de la TV à Lausanne, elle se méfie en revanche «de la concentration, à l’image de la presse écrite, qui encourage la pensée unique». C’est à ce titre qu’elle comprend l’interpellation de son collègue genevois. Lequel conclut: «On sera intransigeant. S’il le faut, j’en appellerai avec d’autres élus à une grève de la redevance.» On verra sur qui Manuel Tornare pourra compter pour chercher querelle à l’ogre EPFL.