Rien ne va plus entre Michael Lauber et Olivier Jornot. Les enquêtes lancées autour de la récente menace terroriste ont renforcé les crispations déjà existantes entre le patron du Ministère public de la Confédération (MPC) et celui du parquet genevois. Dans un communiqué, annonçant l’ouverture d’une enquête contre deux Syriens, le MPC boude complètement son alter ego cantonal et évoque un «contact direct et régulier avec le conseiller d’État Pierre Maudet». Au-delà des querelles de compétence, ce sont surtout des personnalités aux approches différentes qui s’affrontent. Sans prendre de gants.

Un terrain déjà miné

Le terrain était déjà bien miné pour faire éclater les tensions entre Berne et Genève et donner l’impression d’une cacophonie encore plus générale. Sur le plan politique tout d’abord, Pierre Maudet a tenu conférence de presse, tout juste une semaine avant cette alerte, pour se profiler dans la lutte contre le terrorisme et critiquer une certaine nonchalance fédérale.

A cette occasion, le ministre de la sécurité a déclaré que la Confédération «ne prend pas la mesure du problème» et que la réduction des postes au service de renseignement est «une plaisanterie» dans le contexte actuel. Olivier Jornot embrayera sur ce même thème trois jours plus tard, au micro de l’émission Forum, pour relativiser la préparation des polices du pays à faire face à des attentats et constater la totale perte de crédibilité du renseignement suisse.

Ces interventions auraient pu rester du domaine d’une compétition locale pour plus de visibilité ou encore de la légendaire façon genevoise de donner des leçons à tout le monde. C’était sans compter la menace d’attentat qui se précise le 9 décembre et qui met l’ensemble des acteurs sur des charbons ardents.

Le calme politique retrouvé

Après quatre jours frénétiques, alimentés par toutes sortes de fuites, de petites phrases et de rumeurs, les politiques semblent avoir réussi à calmer le jeu de leur côté. «J’ai eu Simonetta Sommaruga au téléphone ce matin. La présidente de la Confédération est parfaitement consciente du fait que les cantons sont au front pour gérer la sécurité en temps de crise et se montre soucieuse d’éviter les querelles intestines», explique Pierre Maudet.

Lors de son bilan de fin d’année, la conseillère fédérale s’est d’ailleurs félicitée ce lundi de la bonne collaboration avec Genève et précisé qu’une augmentation des postes pour lutter contre le terrorisme sera discutée prochainement. En résumé, Simonetta Sommaruga, assure son service d’information, n’a jamais suggéré (comme cela a pu lui être prêté par certains médias) que le canton avait monté trop vite son niveau de vigilance, communiqué trop fort et suscité une réaction aussi inutile que contre-productive.

Chronologie du malaise

Au niveau judiciaire, l’irritation est plus marquée et la paix loin d’être signée. Depuis l’activisme du parquet genevois dans l’affaire HSBC, qui a fait passer le parquet fédéral pour frileux et pantouflard dans le domaine du blanchiment, les rapports sont extrêmement tendus. «Le MPC a toujours peur de ne pas être pris au sérieux et veut tout contrôler. En même temps, il ne fait rien pour prendre les choses en main. Sa priorité est plutôt de faire bonne impression», note un observateur.

La chronologie des derniers jours illustre ce malaise. Le 9 décembre, Berne informe Pierre Maudet mais pas directement Olivier Jornot de la menace et de la procédure pénale fédérale. Le 10 décembre, c’est le parquet genevois qui dégaine le premier en communiquant à la presse l’ouverture d’une enquête pour actes préparatoires. De quoi froisser la susceptibilité du MPC qui sort du bois juste après non sans critiquer la tactique cantonale.

Les choses ne vont pas s’arranger même si le premier procureur Yves Bertossa et la procureure fédérale Juliette Noto (très peu vue à Genève ces jours) sont en contact permanent pour faire le point. Un seul agent de liaison est mis à disposition côté fédéral. «Dérisoire», fait-on remarquer à Genève où la police judiciaire a dû fournir un effort considérable en matière d’analyse de renseignements.

Le dossier des Syriens met le feu aux poudres

Le 11 décembre, ça se gâte encore un peu plus avec l’arrestation des deux Syriens. Le MPC demande d’abord au parquet genevois de poursuivre, de s’assurer des traces d’explosifs, de s’occuper encore d’une mise en détention qui tombe mal car c’est le week-end, puis seulement de les saisir officiellement de l’affaire. Olivier Jornot pense organiser une conférence de presse commune avec Michael Lauber le vendredi soir mais ce dernier décline.

Le procureur général de Genève décide de convoquer les médias samedi en fin d’après-midi pour satisfaire tout seul leur grande curiosité. Le MPC, froissé, communique dans la foulée de cette invitation. C’est le fameux texte qui boycotte le parquet genevois, parle uniquement du soutien de Fedpol et évoque un lien privilégié avec Pierre Maudet, qui n’est pas son partenaire institutionnel et qui n’en demandait sans doute pas tant. Le communiqué est soumis au département mais publié avant sa réponse.

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Face à la presse, Olivier Jornot ne cache pas son agacement et renvoie au MPC sur cette question. Lequel refusera évidemment de s’exprimer. Le procureur général évoque les limites d’un formalisme excessif et soutient que les compétences ne sont «jamais totales» dans un domaine aussi complexe que le terrorisme. Il glisse au passage que c’est désormais au seul MPC qu’incombe la charge de retrouver les quatre suspects de la photo même si son parquet continuera d’aider. La coordination optimale n’est plus qu’un mirage.