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Genève, l’éruption populiste

Le Mouvement citoyens genevois (MCG), «ni de droite ni de gauche» mais résolument anti-frontaliers, a piétiné l’ensemble des partis traditionnels, hormis les Verts. Minée par ses divisions, la gauche dure reste exclue du Grand Conseil

A part le vainqueur, personne ne s’attendait à un tel raz-de-marée. Hier, le Mouvement Citoyens genevois (MCG), «ni de droite ni de gauche» mais résolument anti-frontaliers, a piétiné l’ensemble des partis traditionnels, hormis les Verts, en raflant 17 sièges au Grand Conseil. Huit de plus qu’en 2005, où son apparition au parlement avait déjà créé l’événement. La formation populiste née d’une dissidence UDC double ainsi sa députation, et joue désormais dans la cour des grands: elle devient la deuxième force parlementaire, ex aequo avec les écologistes. Ces derniers gagnent un siège, prenant pour la première fois dans un canton romand le leadership de la gauche. Minée par ses divisions, la gauche dure reste exclue du Grand Conseil. Le rapport des forces reste inchangé: très minoritaires, les roses-verts n’ont que 32 sièges sur 100.

Le durcissement du ton de la campagne le laissait présager: le discours anti-frontaliers et sécuritaire a séduit. Alors que la participation s’est élevée à 40,7%, un taux similaire à celui de 2005, le MCG a confirmé de manière spectaculaire une percée que certains prédisaient sans avenir. Populiste et se proclamant inclassable sur l’échiquier traditionnel, le parti se situe à droite sur les questions d’ouverture à l’étranger et de fiscalité, mais à gauche sur le social ou la politique des aînés. Il doit son succès à un discours simple, une dénonciation des «magouilles» politiques et une présence permanente sur le terrain de son leader, le trublion Eric Stauffer. «Notre politique de proximité a fonctionné: la population nous a entendus», clame Thierry Cerutti, maire MCG de la commune de Vernier. L’UDC, qui, après une législature sans couleur a maladroitement tenté de jouer sur le terrain du MCG avec sa publicité anti-CEVA qui traitait les habitants d’Annemasse de «racaille», perd deux sièges.

Seul autre parti à tirer son épingle du jeu: les Verts, promus deuxième force cantonale en terme de suffrages. Même si leur triomphe est moins éclatant que prévu, ils parviennent à dépasser les socialistes, en gagnant un siège (de 16 à 17). Tirés par la locomotive David Hiler, incontesté patron des Finances et premier élu des 387 candidats, les écologistes bénéficient de leur image jeune et antidogmatique. Cela n’empêche pas Ueli Leueuberger, président du parti suisse, de s’inquiéter du succès des populistes: «Il est effarant que les gens puissent croire que tout est la faute des frontaliers. Les Verts et la gauche plurielle doivent investir leurs forces pour combattre le discours, surtout dans la couronne suburbaine du canton.»

Passant de deuxième à quatrième force du Grand Conseil, les socialistes sont sous le choc, et n’échapperont pas à un sérieux examen de conscience. Après une législature difficile, ils devront à nouveau composer sans l’appui de la gauche dure, qui rate encore la marche. Unis mais affaiblis par la liste fourre-tout de l’ex-ministre socialiste Christian Grobet, «Défense des aînés, des locataires, de l’emploi et du social», SolidaritéS et le Parti du travail manquent le quorum, tout comme leur fossoyeur. Moribonde, la gauche dure survivra-t-elle?

Pour la droite bourgeoise, c’est également la soupe à la grimace. Comme en 2005. L’Entente perd cinq sièges. Sa majorité relative s’effrite, passant de 47 à 42 sièges. Même s’ils restent premiers au Grand Conseil avec 20 fauteuils, les libéraux en perdent trois. Effaré, le député Pierre Weiss relève qu’«expliquer aux Genevois que le chômage n’a rien à voir avec les frontaliers ne suffit plus: à l’avenir, nous devrons répondre de façon plus pointue. Et ne plus nous préoccuper uniquement des conditions-cadres, mais aussi du citoyen.» Les radicaux et le PDC, qui poursuivent leur érosion, perdent chacun un siège et se retrouvent tous deux à 11. Directeur de l’Office cantonal de l’emploi, l’ex-député PDC Patrick Schmied regrette «l’avènement du café du Commerce». Il appelle les partis républicains à se remettre en question: «Il faut réfléchir aux 20 à 25% de laissés-pour-compte qui se sentent lâchés.»

Même si les élus tentent de relativiser le phénomène, faisant le lien avec Vigilance qui était devenu premier parti du canton en 1985 avant de disparaître en 1993, le MCG, qui a souvent été traité par le mépris, ne fait plus rire. Dès aujourd’hui, en campagne pour l’élection du Conseil d’Etat qui se déroulera le 15 novembre, les partis réinvestiront le terrain pour faire barrage aux candidats populistes: les deux MCG Eric Stauffer et Mauro Poggia, et l’UDC Yves Nidegger, à moins que le parti ne lui préfère le député Eric Leyvraz, dont le profil moins tranché ouvrirait une possible alliance avec l’Entente.

Il y a quatre ans, les électeurs avaient procédé à un rééquilibrage en donnant à la gauche la majorité au Conseil d’Etat. Une configuration qui avait obligé le parlement de droite et le Conseil d’Etat à gouverner Genève au centre en cherchant des compromis. Le 15 novembre, les Genevois décideront-ils de répercuter ce glissement à droite au sein du Conseil d’Etat?