A Genève, le procès du videur trop brutal du Rooftop 42
Justice
Jugé pour meurtre par dol éventuel, l’ancien champion du monde de full contact assure n’avoir jamais imaginé les conséquences dramatiques des coups portés à un client devenu indésirable. La victime est décédée après neuf mois de coma

Sa grande qualité, assure-t-il, était de savoir maîtriser ses gestes et désamorcer le conflit. Didier, de son prénom fictif, agent de sécurité et multiple champion du monde de full contact, a pourtant perdu les nerfs en évacuant sans ménagement un client du Rooftop 42, un bar chic de la rue du Rhône, dont le nom est désormais indissociablement lié à ce drame. Trois coups, suivis d’une violente chute sur le crâne, la victime, père de famille et cadre dans une multinationale, n’y survivra pas. Après neuf mois de coma et de terribles souffrances, le corps médical a décidé le retrait thérapeutique. Jugé depuis lundi à Genève pour meurtre par dol éventuel, le videur évoque une sorte d’explosion: «Je voulais qu’il se taise, qu’il arrête de m’insulter et de me provoquer.»
Né en France il y a bientôt 60 ans, Didier passe son enfance dans la précarité et effectue une courte scolarité avant de faire l’armée dans le corps des parachutistes. Il réalise alors que le sport est sa voie et se spécialise dans les arts martiaux. Cela lui réussit. Il gagne son premier titre mondial en 1981. Il y en aura beaucoup d’autres. A l’époque, il travaille déjà comme agent de sécurité et protège le prince Victor-Emmanuel de Savoie à Genève. De l’autre côté de la frontière, il va ouvrir un fitness et une boîte de nuit avant de revenir faire office de gros bras dans plusieurs établissements branchés de la cité de Calvin.
Un mauvais jour
Le verbe rugueux, le prévenu essaye d’expliquer au Tribunal correctionnel ce qui a provoqué ce déchaînement de violence, le soir du 25 septembre 2015, contre un homme qu’il croisait pourtant régulièrement et respectait. Avec une nuance. «Ce client aimait bien faire la fête mais il pouvait se montrer lourd avec les dames». Appelé par la patronne des lieux à faire sortir la victime, après que les tours soient montés entre deux tables, Didier assure s’y être pris avec calme avant que les choses ne dégénèrent dans l’ascenseur. «Il m’a sauté dessus, je l’ai maîtrisé. Il pensait que c’était ma faute et que je prenais parti pour l’autre client. Il ne voulait rien entendre et ne semblait pas dans son état naturel.»
En sortant de l’ascenseur, le prévenu dit s’être emporté. «Je lui ai donné une gifle, il m’a répondu avec une gifle. Ensuite, il a continué à m’insulter et à me défier. Il m’a dit: «T’as pas les couilles, tu te caches derrière tes collègues». Didier ignore toujours comment il s’est laissé embarquer dans ce jeu qu’il fallait absolument éviter. C’était un mauvais jour. Il avait eu ce pressentiment en allant travailler. Lorsque la présidente Catherine Gavin lui demande pourquoi il n’a pas simplement laissé partir ce client, le portier précise: «J’ai pété les plombs. C’est l’accumulation qui m’a fait exploser. Je n’ai aucune excuse. Je n’aurais jamais dû le frapper.»
Le ring et la rue
Si le prévenu reconnaît la violence des coups, la scène a été filmée par les caméras de vidéosurveillance, il affirme toutefois n’avoir jamais voulu le mettre KO, ni imaginé le pire. «Sur un ring, on tombe sur le tapis.» Sa victime n’a pas eu cette chance. Elle est tombée, «droit comme un bout de bois» et s’est heurtée l’arrière de la tête sur le sol en marbre du couloir du rez-de-chaussée.
Comment un professionnel des sports de combat n’a-t-il pas mesuré sa force? «Dans la rue, je suis comme tout le monde», réplique Didier. Ce dernier a déjà été condamné par le passé pour des coups, certes bien moins graves, portés au client d’un autre établissement. «Quand j’ai raison, j’ai raison», soutient-il pour justifier sa réaction de l’époque consistant à défendre une jeune fille qui se faisait importuner. Cet antécédent pénal l’aurait sans doute empêché d’obtenir la carte nécessaire pour exercer comme agent de surveillance depuis 2014. Autorisation que le Rooftop n’avait pas demandé avant d’engager Didier et ses deux collègues videurs.
Intenses souffrances
«J’ai tout de suite compris que c’était très grave», poursuit le prévenu en évoquant la chute de ce client. L’épouse de la victime, qui se trouvait à Lausanne pour la soirée avec leurs deux filles, a aussi réalisé, en parlant au médecin, que rien ne serait plus comme avant. La journée avait pourtant été belle. Son mari venait de rentrer d’un voyage professionnel à Zurich, il avait fait du bateau l’après-midi et était sorti avec des amis le soir. Le lendemain, il devait participer à une course.
Ces projets seront définitivement assombris par les conséquences d’un coup de tête et de deux crochets du gauche. Un traumatisme crânio-cérébral sévère, plusieurs opérations, un arrêt cardiaque, les soins intensifs, la tête enflée, les infections, neuf mois de coma avec d’intenses crises neurovégétatives, la perte de 40 kilos «Ce n’était plus mon mari que je voyais sur ce lit», témoigne la veuve. Il avait 42 ans.
Famille brisée
Le 21 mai 2016, l’assistance a été retirée sans que l’épouse soit mise au courant. Le personnel soignant ne pouvait plus continuer à le maintenir en vie dans de telles souffrances et le comité d’éthique clinique a décidé de la tenir à l’écart d’un choix trop difficile à faire. Seule les parents et le frère de la victime ont donné leur feu vert. Cinq semaines se sont encore écoulées avant le décès. «C’était horrible de le voir dépérir.» Au procès, l’épouse a rappelé le père attentif et joyeux qu’il était. Les adolescentes n’ont plus ce père et ont désormais une mère brisée. «Il me manque terriblement. Chaque jour est un combat.»
Du combat très inégal qui s’est déroulé en bas du Rooftop 42, il sera encore question ce mardi avec l’audition de plusieurs témoins.