Quand Genève rêve d’une Rade en majesté
Aménagement
A quoi pourrait ressembler la Rade demain? Un concours international d’idées, lancé par le maire Guillaume Barazzone, prime des projets modernes et audacieux. Pour les concrétiser, il faut désormais la volonté politique et l’argent

Ce matin, Genève a fait un rêve. Elle a esquissé sa Rade idéale, crayonné ses quais, épuré ses espaces, s’offrant une cohérence nouvelle. Elle a chassé ses bateaux à quai, ses cabanes de pêcheurs, ses glaciers d’un autre âge. Ici, la rive gauche est rendue aux promeneurs et les gargotes sont encastrées sous le quai Gustave Ador. Là, sur la rive droite, des plateformes de bois invitent au bain, entre plages de galets et végétation lacustre. Mais le rêve s’étire encore, polymorphe. Il marie les rues au lac, les nettoyant des véhicules et faisant de celles-ci des rayons dardés vers la lumière de l’eau. Enfin il noue un anneau sur les flots, sorte d’île creuse en écho à l’île Rousseau.
Le début de la démarche: Guillaume Barazzone lance un concours d'idées pour la rade de Genève
Genève a fait un rêve, donc, mais ne le dites pas ainsi à Guillaume Barazzone, maire de la Ville, qui veut tout mettre en œuvre pour le réaliser. Pour l’heure, il n’est encore que le fruit d’un concours d’idées international, dont les lauréats ont été primés mardi, «mais ce n’est pas un concours en l’air, assure-t-il. Maintenant, on lance le débat, et si ces idées parlent à la population, aux associations et aux élus, on pourrait imaginer les premiers résultats d’ici cinq à sept ans».
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Elégants espaces de promenade
Présidé par l’architecte Patrick Devanthéry, le jury a décerné, parmi 70 projets suisses et européens, le premier prix à l’architecte genevois Pierre-Alain Dupraz, une proposition sobre, assez calviniste au fond, faite d’élégants espaces de promenade.
Le second prix est attribué à deux étudiants genevois, Maxime Lécuyer et Ljirim Seljimi, qui ont privilégié les points de convergence entre les rues de la ville et le lac.
Le troisième, plus audacieux, revient à Tribu architecture à Lausanne, et sa spectaculaire piscine circulaire de 140 mètres de diamètre, réponse contemporaine à l’île Rousseau.
Enfin, une mention est attribuée aux architectes zurichois de Dürig pour leur projet radical et iconoclaste, supprimant tous les bateaux. Trois expositions sont offertes au public, sur les quais Général-Guisan, Wilson et Gustave-Ador ainsi qu'au Forum Faubourg. Les plus connectés pourront découvrir ces projets grâce à l’application 360° «la rade».
Avant, il y avait les lavandières et les latrines
«Avant le XIXe siècle, Genève n’avait pas de relation esthétique avec sa Rade, explique Francesco Della Casa, architecte cantonal. Elle accueillait les lavandières, les latrines, des moulins. Ce n’est qu’à l’époque de James Fazy et du général Dufour qu’elle devient un espace monumental de la ville, car elle représente le point d’arrivée des touristes en bateau.» Naissent alors le pont des Bergues et la statue de l’île Rousseau. C’est en 1932 qu’elle accueille son dernier élément, les fameux Bains des Pâquis. Puis elle s’endort et laisse bateaux, chantiers navals et guinguettes la coloniser au gré des vents et des autorisations, «sans plus de réflexion symbolique de son espace, ce qui aboutit à cette impression d’encombrement désordonné», résume l’architecte cantonal. Dernièrement, quelques projets tournent même à la franche rigolade, comme les «Ferrazinettes», pavillons destinés aux glaciers de la Rade qui finiront à la trappe, auxquelles succéderont les «Barcelonnettes», vieillottes avant l’heure.
Mais il se pourrait que ce concours d’idées soit, lui, promis à meilleure fortune. Guillaume Barazzone fonde son optimisme sur l’alliance qu’il a nouée avec toutes les entités concernées, dont le canton. Si la gestion des quais appartient à la Ville, celle du lac appartient au canton. Aussi a-t-il voulu un jury mixte et un dialogue francs: «Ce n’est qu’ensemble qu’on parviendra à ficeler un projet global qui permette la balade, la baignade et dégage la vue, en éloignant les activités qui aujourd’hui les empêchent», explique le maire.
Mettre sur pied un comité de pilotage
Interrogé, le conseiller d’Etat Luc Barthassat abonde: «Il faut maintenant mettre sur pied un comité de pilotage pour toute la Rade, incluant Ville, canton, communes, promoteurs.» Entendez: sans cela, les projets divers et variés s’y noieront. Car plusieurs d’entre eux n’ont pas attendu ce concours d’idées pour être lancés, et certains sont déjà en bonne voie. Comme le projet de la plage des Eaux-Vives entre Baby plage et la Nautique, lancé par Robert Cramer et mis en œuvre par Luc Barthassat, et qui verra le jour en 2019. Conséquence: les quais seront libérés des bateaux et des dériveurs, qui rejoindront un port public en prolongement de celui de la Nautique, ainsi que des cabanes de pêcheurs, qui seront déplacées sur une esplanade.
Quatre chantiers navals déménageront au Vengeron: «Nous allons déposer un projet de loi en 2018, avec, en parallèle, une modification de zone, explique le ministre en charge du département de l’environnement, des transports et de l’agriculture. Ainsi, les travaux pourront démarrer en 2021-2022.» Sans compter la future passerelle piétonne du pont du Mont-Blanc. Autant de projets qui figuraient d’ailleurs au cahier des charges que les architectes ont dû prendre en considération pour concevoir leur projet. Sur la Rive droite, Luc Barthassat et le conseiller administratif Rémy Pagani étudient aussi comment agrémenter l’accès au lac.
Trouver le financement
C’est dire qu’il faudra une belle entente pour rendre réalisable le rêve esquissé par ce concours d’idées. Il faudra aussi, surtout, trouver un financement. Si rien n’a pour l’heure été chiffré, Guillaume Barazzone estime «qu’avec des investissements de 130 millions de francs en Ville chaque année et le processus de désengagement des quais en 2019, c’est possible». Ce matin, des architectes ont offert les contours d’un rêve «au ras de l’eau», du nom du projet lauréat. Reste le geste politique, dans un élan de hauteur.