Genève revendique une demi-victoire sur le crime transfrontalier
sécurité
Pour les autorités, la bataille contre le crime transfrontalier est à un tournant et semble sur le point d’être gagnée. Chiffres à l’appui, les autorités se justifient par un arsenal de mesures, d’une police de proximité en passant par l’usage de drones. Des chantiers restent encore à consolider toutefois
Il était aux alentours de 23h45 ce dimanche-là, dans les couloirs de la succursale en travaux de la banque UBS de Florissant, quartier résidentiel chic de Genève. Mal en a pris à Alexandre, venu procéder à un retrait. Un individu habillé d’un training à capuche exige avec un fort accent français qu’il retire la somme de 2000 francs en le menaçant avec un couteau.
Devant l’agresseur, décrit comme grand et musclé, la victime n’a d’autre choix que d’obtempérer, bien que ne disposant pas d’une telle somme. Le malfrat lâche alors, avec un rictus: «Rien à foutre, on est en Suisse, donc t’as 2000 boules.» Alexandre finit par lui donner 260 francs et appelle rapidement la police après l’incident.
Le suspect est en cours d’identification, mais la police semble pencher pour l’hypothèse des banlieues lyonnaises. Les deux policiers dépêchés sur place confieront plus tard à la victime, selon ses dires: «On est de plus en plus confrontés à ce type de criminalité. Nous sommes intervenus six fois dans le quartier en un mois, mais, politiquement, nous avons les mains liées.»
Des braquages récents – avortés ou non – à Thônex et à La Croix-de-Rozon, ainsi que l’attaque à la voiture-bélier de la boutique Zénith à la rue du Rhône, sont autant d’événements qui font ressurgir le dilemme de la criminalité transfrontalière, à un mois des élections cantonales. Pourtant, les autorités ne sont pas loin de dire que la bataille contre ce type de criminalité semble en passe d’être gagnée.
Statistiques à la clé, Christian Cudré-Mauroux, chef des opérations de la police genevoise, nous énumère les succès: «Dans le cas des braquages, la tendance diminue. De 34 en 2011, on passe à 30 en 2012 et, aujourd’hui, nous en sommes à 27, bien que l’année ne soit pas terminée. Sur la zone frontalière, seuls dix cas ont été répertoriés. Huit auteurs ont été interpellés ou identifiés venant de France, mais pas forcément de France voisine.»
Une opinion partagée par le procureur général Olivier Jornot: «Ce que nous observons de manière empirique, c’est une diminution de la criminalité transfrontalière la plus violente. Les attaques à l’arme de guerre se font heureusement plus rares», explique-t-il.
Plus prudent, le magistrat chargé de la sécurité, Pierre Maudet, indique qu’«il serait présomptueux de dire que les récents résultats indiquent une tendance durable, mais on y travaille. On va continuer à faire des efforts sur cette question.»
Un arsenal de mesures explique ces résultats. Les extraditions sont de plus en plus fréquentes et la France souhaite «récupérer» ses criminels. Olivier Jornot confirme: «Cela peut avoir un effet dissuasif et casser le mythe selon lequel on peut venir braquer en Suisse, et profiter de la gentillesse supposée de nos tribunaux.» «Le Ministère public a obtenu récemment l’extradition vers la France de certains malfrats», ajoute Pierre Maudet.
Un accord bilatéral entre la France et la Suisse simplifie le côté administratif entre forces de police et autorise des actions sur l’ensemble du territoire franco-suisse. Il prévoit notamment «des formes de commissions rogatoires internationales plus souples», précisait François Schmutz, chef de la police judiciaire, lors de la conférence de presse de la police du 23 août dernier. «Grâce à celui-ci, les poursuites transfrontalières sont autorisées pour procéder à des interpellations: la police genevoise peut entamer la poursuite d’un véhicule à Carouge et l’arrêter à Gaillard, sans se soucier de la frontière, et l’inverse est également vrai», explique Olivier Jornot.
L’accord prévoyait également, dans le cadre des affaires dites «complexes», l’instauration d’équipes «mixtes», composées d’enquêteurs suisses et français. Ce concept est pour l’instant au point mort, car il existe «une certaine difficulté technique de mise en œuvre de telles équipes», explique François Schmutz. Il ajoute cependant que la police «n’en a pas besoin pour le moment, sachant que les commissions rogatoires internationales suffisent».
Du côté des gardes-frontière, nos sources confirment l’utilisation de caméras de surveillance du trafic, d’hélicoptères et de drones. Sous contrat de l’armée, ces aéronefs sont engagés ponctuellement et l’hélicoptère une douzaine de fois par an, pour des missions spéciales ou alors liées à la surveillance du trafic. Un nouvel accord entre la police genevoise et le Corps des gardes-frontière, qui entre en vigueur le 1er janvier 2014, «permettra de procéder nous-mêmes à l’audition des prévenus, ce qui déchargera la police genevoise», précise le major John Bonnet, de l’Administration fédérale des douanes.
L’engagement de plusieurs unités au Corps des gardes-frontière et le recours à quatre procureurs supplémentaires au Ministère public (quatre autres sont prévus pour le 1er janvier 2014) sont venus renforcer les effectifs sécuritaires et judiciaires.
Tout cela ne suffit pas à combler les déficits persistants des autorités. Du côté de la justice, «il s’agit de renforcer certains maillons de la chaîne pénale: les tribunaux sont gravement surchargés et le seront de plus en plus au fil du renforcement du Ministère public», déplore Olivier Jornot. «Au niveau policier, on manque d’effectifs. Pour les enquêtes dites «complexes», l’effectif de la police judiciaire ne lui permet pas de répondre à toutes les sollicitations du Ministère public», ajoute-t-il.
Pierre Maudet, pour sa part, souligne: «Nous ne sommes pas encore suffisamment armés quantitativement et qualitativement, d’où ma volonté d’entreprendre des réformes. Il est clair qu’on ne peut plus gérer la sécurité avec des prisons sous-dotées, des procureurs surmenés, ainsi qu’une police dont le fonctionnement est à revoir en profondeur.»
Les chiffres de la police démontrent aussi une tendance à la baisse pour les délinquants originaires du Maghreb, arrivés «massivement» à la suite du Printemps arabe. «La répression a augmenté et cela est dû essentiellement au nombre d’interventions de la brigade anti-criminalité, et à la collaboration avec la police judiciaire, qui s’est occupée de l’identification des délinquants», selon François Schmutz.
L’autre exemple est celui de la criminalité transfrontalière à l’intérieur de la zone Schengen. L’inquiétude actuelle des autorités est celle de «l’augmentation extrêmement importante de la délinquance commise à Genève par des ressortissants roumains», confie Olivier Jornot. «Ce sont des populations jeunes, assez désespérées par leurs conditions de vie et quant à leur futur, et à qui on présente la Suisse comme un eldorado», ajoute-t-il. Sur ce sujet, l’objectif de Pierre Maudet est clair: «La police a déployé des moyens, comme le recours à deux policiers roumains, pour l’aider dans ses tâches. Cela signifie que des officiers de Bucarest nous aident à les attraper aussi bien ici qu’en Roumanie.»
Malgré tous ces efforts, Alexandre n’est pas rassuré: «Je n’aurais pas subi cette agression si je m’étais trouvé à Lausanne, plus loin de la frontière.» Pour Pierre Maudet, «le seul combat que nous avons véritablement gagné aujourd’hui est celui de faire comprendre qu’«il n’y a pas d’impunité». Les rhétoriques telles que «Il n’y a plus de place en prison, donc on laisse les gens dehors» ne doivent plus être accréditées.»
«Ce sont des populations jeunes, désespérées par leurs conditions de vie»