Pendant sept ans, les prières de la Brésilienne Barbara Vieira n’avaient qu’un objet: «Mon Dieu, faites que je sois transparente!» Sept ans à avoir peur dans le bus, peur à la gare, peur des coups de sonnette, «sans compter la pression sur mon fils pour qu’il fasse des bonnes notes à l’école», dans l’espoir hypothétique d’une régularisation. Et puis un jour d’avril de l’année dernière, les larmes devant son permis B. Le sésame vers la lumière. Un papier nommé Papyrus, qui change tout.

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L’opération Papyrus, de son nom de code, a jusqu’ici travaillé dans le secret. Depuis 2015, elle a permis à 590 sans-papiers, dont 147 familles, de sortir de l’ombre à Genève. Les pays de provenance des régularisés proviennent majoritairement d’Amérique latine, des Balkans et des Philippines. Les trois quarts d’entre eux travaillent dans l’économie domestique, les autres dans la restauration et la construction. Les demandeurs d’asile ne sont pas concernés. Une première, pour un canton qui, depuis dix ans, tente de «lever une hypocrisie institutionnelle et de mettre fin à l’exploitation des personnes en situation irrégulière», selon le conseiller d’Etat Pierre Maudet. Lequel est parvenu à trouver une solution avec la Confédération, qu’il est venu défendre mardi devant la presse.

«Ce n’est désormais pas une amnistie»

Désormais, des milliers de clandestins genevois, parmi les 13 000 estimés dans le canton, pourront caresser l’espoir de décrocher leur régularisation grâce à Papyrus. Il n’aura pas fallu, pour ce faire, changer la loi. Tout au plus assouplir certains critères définis vaguement dans l’ordonnance et la loi fédérale sur les étrangers. Les candidats à la régularisation devront avoir un emploi et être indépendants financièrement, ils devront prouver résider depuis cinq ans en Suisse pour les familles avec enfants ou dix ans pour les célibataires, ne pas avoir été condamnés pénalement et être intégrés, avec un niveau de français suffisant. «Il s’agit de valider ce que la réalité a déjà établi», résume Pierre Maudet. «Papyrus n’est pas une régularisation collective ou une amnistie. Chaque dossier fera l’objet d’un examen individuel, au terme duquel Berne donnera ou non son feu vert», explique Cornelia Lüthy, vice-directrice à la direction de l’Immigration et l’intégration au Secrétariat d’Etat fédéral aux migrations (SEM).

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La démarche n’est toutefois pas sans risque. Car entamer une procédure, c’est se dénoncer, et les personnes qui se verraient opposer un refus devront quitter la Suisse. La procédure mise en place contient donc un premier pare-feu: les organisations actives dans la défense des droits des étrangers, qui s’assureront que les personnes remplissent bien les critères. Avant de faire instruire la demande auprès de l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail qui rendra un préavis, transmis à Berne.

«Pour nous, c’est une immense satisfaction», se félicite Marianne Halle, du Centre de contact Suisses-Immigrés (CCSI), résumant le sentiment de ses partenaires du Centre social protestant, du Syndicat interprofessionnel des travailleurs (SIT) et du Collectif de soutien aux sans-papiers. Des organisations qui n’ont pas résisté au plaisir de convoquer à leur tour la presse pour raconter comment quinze ans de travail et de négociations ont conduit à cette issue. Une situation assez originale, tant il est rare de voir syndicats et acteurs associatifs lancer des amabilités à l’endroit notamment d’un ministre libéral-radical. «Il a fallu créer un climat de confiance entre gens d’opinions souvent différentes, raconte Rémy Kammermann, juriste au CSP. Dans notre groupe d’experts nommé par le Conseil d’Etat, nous nous trouvions en face de hauts fonctionnaires, à discuter dans le plus grand secret pendant six ans. Papyrus est le fruit d’un compromis très helvétique, où le dénominateur commun était la volonté de combattre la précarité».

Contrôles des employeurs

Car la normalisation des clandestins vise aussi un second objectif: assainir des secteurs économiques passés maîtres dans l’art de la sous-enchère salariale et du travail au noir. Les candidats à la régularisation devront en effet donner des informations sur leurs employeurs. Avec le risque que ceux-ci soient contrôlés par l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail et éventuellement sanctionnés. Une campagne de contrôle sera aussi mise en place pour éviter tout «appel d’air». C’est sans doute le plus gros risque politique d’une telle action. Martine Brunschwig Graf, ancienne conseillère d’Etat, ne s’y est pas trompée: «Si ce projet est aujourd’hui possible, c’est qu’à Berne, la volonté politique a changé». Et Genève espère convaincre d’autres cantons d’adopter son modèle. Le mot de la fin à Ruth Dreifuss, ancienne conseillère fédérale invitée à la conférence de presse des autorités: c’est «une longue histoire qui aboutit et qui commence». Barbara Vieira ne saurait mieux dire: Papyrus a ouvert son avenir et elle porte un enfant.