Là où un contribuable sur trois ne paie rien

Fiscalité A Genève, plus de 34% des personnes physiques sont exonérées de l’impôt sur le revenu

Une part en augmentation partout en Suisse, ainsi que le révèle la campagne sur les forfaits fiscaux

Immoral le forfait fiscal? A ceux qui le prétendent, Serge Dal Busco, chef des Finances genevoises, retourne la question: «Trouvez-vous moral que plus d’un tiers des contribuables dans notre canton ne paient pas un seul franc d’impôt?»

La question est rhétorique et le conseiller d’Etat se garde d’y répondre, mais le fait est là: les contribuables exonérés sont devenus un argument dans la campagne. L’un des mérites du forfait, pour ses défenseurs, est de compenser par ses recettes l’absence de contribution de toute une frange de la population. Une frange qui s’agrandit toujours plus.

A Genève, le cap du tiers des contribuables est désormais nettement franchi. Selon l’état à fin octobre, 93 219 dossiers fiscaux ne produisent pas d’impôt sur le revenu pour 2012. Soit 34,3%, contre 28% il y a dix ans.

Dans le canton de Vaud, les ménages exonérés sont également au nombre de 93 000 (2011), mais ils représentent un moindre pourcentage de l’ensemble, autour de 23%. Cette catégorie prend aussi de l’ampleur, vu qu’elle n’était que de 20% en 2004.

En Valais, 12% des contribuables ne paient pas d’impôt sur le revenu, tandis que 15% ne paient que le minimum obligatoire de 10 francs. L’un dans l’autre, 75 000 contribuables sur 278 000 (27%) sont pratiquement exonérés, un nombre que le ministre Maurice Tornay ne manque pas de souligner dans ses interventions.

Comment expliquer cette hausse des habitants épargnés par l’impôt dans un Arc lémanique où le PIB a crû de 20% en dix ans? Les cantons concernés n’ont pas d’explication précise. «L’augmentation de la population en est la cause principale», répond-on à Lausanne. «Une baisse de l’impôt en faveur des familles et des couples mariés, l’augmentation de jeunes en formation et des working poor», avance-t-on à Genève.

Avec ses 34% de contribuables exonérés, Genève affiche certainement le record suisse, même si le conseiller d’Etat Serge Dal Busco pense qu’il se situe dans la norme des cantons métropolitains. Il n’existe pas de statistique nationale à ce sujet. Des éléments partiels de comparaison sont fournis par les données de l’Administration fédérale des contributions (AFC) sur le début de l’assujettissement . Elles révèlent des pratiques très diverses (voir infographie). S’agissant du contribuable «marié avec deux enfants», Genève offre des conditions imbattables, le seuil à partir duquel le fisc frappe étant situé à 76 000 francs de revenu brut du travail. Bâle-Ville est le seul à offrir des conditions approchantes (66 000 francs), tandis que le seuil vaudois est à 50 000 francs.

Les chiffres fournis par le canton et la Confédération ne s’accordent du reste pas. Le revenu ­imposable d’un contribuable célibataire genevois commence à 17 000 francs selon le canton, ­tandis que l’AFC le situe à 26 000 francs en Ville de Genève.

A Genève, les barèmes de l’impôt sont «historiquement très cléments pour les petits revenus alors qu’ils chargent lourdement les contribuables aisés», souligne l’administration fiscale. «Les cantons urbains et universitaires comptent une population relativement fragile et un nombre important de jeunes adultes en formation», ajoute-t-on. Les 93 000 dossiers qui ne produisent pas d’impôt se répartissent entre 15 000 dossiers sans revenu brut (16%) et 78 000 avec un revenu insuffisant (84%).

A l’autre extrême, on trouve Schwyz, un «enfer fiscal» pour les bas revenus autant qu’un paradis pour les hauts. Le début de l’assujettissement est fixé à 4600 francs de revenu brut du travail pour une personne seule et à 34 000 francs pour un couple avec deux enfants. «Notre principe et notre tradition veulent que chaque citoyen apporte sa contribution au ménage commun, si petite soit-elle», expliquait en 2013 l’argentier cantonal, Kaspar Michel.

Mais partout en Suisse, toujours plus de contribuables glissent sous la barre de l’assujettissement, du fait des possibilités de déduction et d’exonération qui se multiplient. L’initiative du PDC pour défiscaliser les allocations familiales pourrait en ajouter une nouvelle si elle est votée en mars prochain. L’AFC constate, sur la base des résultats 2011, que 28% des contribuables échappent désormais à l’impôt fédéral direct (IFD). En ne prenant en compte que les familles, la proportion atteint même 46%.

Est-il sain qu’autant de contribuables échappent à l’impôt? Sans doute pas, admettent les praticiens de la fiscalité. Mais la remise en question de droits acquis, qui ne manquerait pas d’être dénoncée comme une attaque contre les pauvres, est une entreprise bien téméraire pour les politiciens. A Genève, la proposition de faire passer de 25 à 100 francs la taxe personnelle qui existe dans le canton avait suscité un tollé. Depuis, les milieux économiques se limitent à rouspéter régulièrement contre la multiplication de ce qu’ils appellent les «Gratis-Bürger».

Ces passagers clandestins de la fiscalité, comme on les surnomme encore, préoccupent également Nils Soguel, professeur de finances publiques à l’Institut de hautes études en administration publique (Idheap): «Il n’est pas bon que des contribuables, dans leur écrasante majorité des citoyens ayant droit d’élection et droit de vote, puissent avoir le sentiment que les prestations publiques sont gratuites parce qu’ils doivent à l’Etat une somme d’impôt égale à zéro.»

* La charge fiscale des chefs-lieux de canton 2013: http://www.estv.admin.ch/dokumentation/00075/00076/00720/01655/index.html?lang=fr

A Genève, les barèmes de l’impôt sont historiquementtrès cléments pourles petits revenus