Peu connue, même au sein de sa propre famille politique, Ana Roch vient d’être propulsée dans la lumière. Un défi pour celle qui détourne le regard lorsque son image apparaît à l’écran, contrainte d’affronter sa timidité lorsqu’il s’agit de prendre la parole.
C’est pourtant elle qui a remporté la présidence du Mouvement Citoyens genevois (MCG) et terrassé le colosse Eric Stauffer. A 43 ans, la conseillère municipale de Vernier l’a emporté par 59 voix contre 58 lors de l’assemblée générale du parti contestataire. Ne lui rappelez pas que la victoire a été arrachée à une voix près. «Parce qu’il aurait fallu deux voix de moins, et non pas une, pour que je perde.» Oui Madame.
On aurait tort de se laisser berner par sa timidité. Quelques questions suffisent à révéler son véritable tempérament. Pourquoi a-t-elle brigué la présidence du MCG? «Parce que je suis ambitieuse.» Pourquoi le MCG? «Je sais que c’est un cliché, mais je ne me suis jamais sentie ni de gauche ni de droite.» D’accord, mais à quelles valeurs du parti adhère-t-elle? «Celle qui consiste à d'abord nourrir ses propres enfants.» Difficile d’être plus limpide.
Eric Stauffer lui a reproché son «manque d’envergure», l’accusant dans la foulée d’être «une marionnette» au service d’une escouade de cadres à sensibilité de gauche. Or, tout porte à croire qu’Ana Roch ne diverge pas d’un centimètre de la colonne vertébrale du parti. L’idéologie du MCG, elle l’incarne sous sa forme «un peu à gauche, un peu à droite».
Son parcours l’atteste. Si elle passe ses premières années face à la célèbre horloge fleurie – dont on ignore toujours les raisons du succès – dans un appartement «sous les combles» et fréquente l’école Saint-Antoine en Vieille-Ville, c’est aux Avanchets qu’elle grandit. Quartier populaire engoncé entre deux artères, accueillant plus de deux mille logements dans sept barres d’immeubles qui n’emporteront vraisemblablement jamais le Pritzker, la cité demeure un lieu cher à l’intéressée, où la famille a acquis un appartement il y a trente ans.
Aujourd’hui, la Galicienne d’origine a abandonné la vie communautaire, non sans nostalgie, pour acquérir un pavillon à quelques centaines de mètres du Vieux Vernier. «Ce n’est pas le quartier qui me manque, mais les gens», confesse la nouvelle propriétaire. Aux Avanchets encore, Ana Roch fait ses premières expériences associatives en présidant la Maison des jeunes de l’Eclipse et le Avanchet-Sport FC. On notera au passage que cette fan du Real et du SFC – qui ne manque pas un match en famille – a fait partie de la première équipe féminine du quartier.
Puis c’est au tour de la politique de s’immiscer dans sa vie lorsqu’elle dépose une pétition pour s’opposer à la suppression de 66 places de parking. «C’est là que j’ai découvert les rouages de la politique et appris à connaître les élus.» L’année 2011 marque son entrée au Conseil municipal de Vernier sous la bannière du parti que tous les autres partis adorent détester.
Phénomène politique de la dernière décennie, le MCG compte encore 19 députés au Grand Conseil, de quoi en faire un allié précieux dans l’obtention de majorités. Il dispose également d’un conseiller d’Etat chargé des Affaires sociales et de la Santé, le magistrat Mauro Poggia. Mais s’il fallait retenir une victoire du mouvement, ce serait la façon dont il a imposé la «préférence cantonale» à l’agenda politique, mécanisme consistant, à compétence égale, à engager un résident genevois au détriment d’un travailleur habitant hors du canton. Elle-même administratrice d’une société active dans le bâtiment qu’a fondée son père et employant trente collaborateurs, Ana Roch n’emploie-t-elle que des résidents locaux? Pas tout à fait.
«Deux collaborateurs seulement habitent en France. Et encore, l’un des deux a suivi sa copine de l’autre côté de la frontière», réplique la cheffe d’entreprise, qui affirme qu’elle a engagé quatre personnes via l’Office cantonal de l’emploi ou qui étaient à l’aide sociale. «Nous avons aujourd’hui le «label 1 + pour tous», qui distingue les entreprises qui recrutent des personnes au chômage ou qui s’engagent en faveur de l’intégration par le travail», lance-t-elle fièrement.
Cigares et Harley
Au-delà de l’ambition, il semble que la colère soit le principal carburant de la nouvelle présidente, sentiment nourri par les injustices face auxquelles Ana Roch s’estime obligée de «faire quelque chose». «Aujourd’hui, comment ne pas être en colère quand on constate que certains patrons préfèrent engager un travailleur de l’Union européenne à un salaire qui ne permet même pas de vivre à Genève? Comment ne pas l’être lorsque l’on constate que la formation des apprentis devient tellement lourde que les petites PME finissent par renoncer à les former? Voilà pourquoi j’ai choisi ce parti.»
Divisé par la guerre ouverte qui a opposé Eric Stauffer à la Verniolane, miné par une campagne très controversée lors des dernières élections municipales («Onex, commune zéro frontalier»), le Mouvement Citoyens genevois aura à panser ses blessures avant d’espérer pouvoir mettre fin au léger recul de son électorat constaté en 2015. Ana Roch reconnaît que cette campagne lancée par son adversaire «a causé du tort» à sa formation. «Il faut faire très attention aux mots que l’on utilise. Pour ma part, je préfère dire que je suis pour les résidents genevois que contre les travailleurs frontaliers.»
Ce travail de «dédiabolisation», selon ses propres termes, la mère de famille compte le mener, assure-t-elle. Faire oublier l’image d’un parti d’hommes, arborant des vestes en cuir sentant le tabac froid? «Je fume le cigare, j’ai une veste en cuir et une Harley.» Ah.
Profil
1973 Naissance à Genève
1996 Son premier enfant, une fille, voit le jour. Le second, un garçon, naîtra deux ans plus tard
2007 Soutient la candidature de Thierry Cerutti au Conseil administratif de Vernier
2009 Entre officiellement au Mouvement Citoyens genevois (MCG)
2011 Accède au Conseil municipal de Vernier
2016 Prend les rênes du MCG, en l’emportant en assemblée générale face à Eric Stauffer