Anne Emery-Torracinta: «Je veux lever toute suspicion de partialité»
Genève
Sous la pression, le DIP annonce l’ouverture d’une enquête indépendante dans l’affaire Tariq Ramadan. Elle portera sur trois objectifs, dont un qui dépasse le cadre du Collège de Saussure

Sous la pression, ce qui apparaît inopportun le lundi peut devenir souhaitable le mardi. C’est ce qui s’est passé cette semaine avec la conseillère d’Etat Anne Emery-Torracinta, à nouveau sous le feu des critiques dans sa gestion de l’affaire Tariq Ramadan, accusé par d’anciennes élèves du Collège de Saussure d’avoir été abusées. Après avoir reçu une lettre de plusieurs personnalités lui reprochant une «omerta institutionnelle», elle a convoqué la presse pour affirmer que le département de l’instruction publique (DIP) avait fait ce qu’il convenait, mais ne pouvait entreprendre davantage. Mais le lendemain, la magistrate a changé d’avis, évoquant une enquête indépendante.
Le Temps: pourquoi ce rétropédalage?
Anne Emery-Torracinta: je voulais lever toute suspicion de partialité. Quand on a mis en place notre plan d’actions, en décembre, les choses ont semblé se calmer. Pour réapparaître avec force deux mois plus tard, et je ne suis pas dupe de ce timing. Certains donnent l’impression que le DIP cache des choses, ce qui n’est vraiment pas le cas. Il fallait donc réagir. A ma demande et avec son accord, le Conseil d’Etat mandatera, mercredi prochain, une enquête indépendante.
Mais qu’est-ce qui a changé entre lundi et mardi?
Je voulais lire tranquillement la lettre reçue et en prendre toute la mesure. Je sais que le temps médiatique est court, mais je voulais un minimum de sérénité institutionnelle et ne pas répondre dans la précipitation.
Vous reconnaissez quand même n’avoir pas entendu assez tôt l’opinion publique?
Oui. Je croyais que notre plan d’action était suffisant, puisque son but était d’empêcher que de telles choses ne se reproduisent, mais cela n’a pas suffi à rassurer. Ce sentiment de manque de transparence vient aussi du fait que le droit administratif interdit de communiquer aux victimes les sanctions dont les auteurs auraient fait l’objet. Cela me choque. Comme il y en a une en cours (ndlr: un autre cas d’abus présumé au Collège de Saussure), cela donne le sentiment qu’on ne fait rien.
La suspicion à l’endroit de la directrice générale de votre département, Marie-Claude Sawerschel, accusée de conflit d’intérêt pour avoir été directrice de ce Collège pendant un an, est un exemple?
Oui, et ce type de rumeurs et de théories du complot m’inquiète. Si j’avais le moindre doute, je ne prendrais pas le risque de collaborer avec elle. Mais je suis parfaitement sereine.
Sur quoi va porter cette enquête indépendante?
Le mandat, qui sera dévoilé la semaine prochaine en détail, va poursuivre trois objectifs. Premièrement, il devra faire la lumière sur la carrière de Tariq Ramadan au DIP – ce qui s’est passé, ou pas. Deuxièmement, il portera sur la conduite d’autres affaires de ce type qui se seraient passées au Collège de Saussure. Troisièmement, il devra examiner le traitement d’affaires similaires, dans tous les établissements du canton, qui seraient remontées au département ces trente dernières années. De manière à pouvoir en tirer des leçons.
Vous avez dit que le dossier Ramadan était vide. Comment alors enquêter sur ses années au DIP?
Peut-être les enquêteurs iront-ils voir les gens, sans doute tenteront-ils aussi de comprendre pourquoi le dossier est vide. Mais je compte aussi sur l’appel à témoins. Le jour où nous annoncerons le nom des enquêteurs, les personnes concernées pourront s’adresser à eux. Si elles n’ont pas voulu le faire au DIP, ce que je peux comprendre, elles auront là une occasion. J’espère qu’elles le feront, car sans faits, sans témoins, on ne peut rien faire.
Connaît-on le profil des personnes qui mèneront l’enquête?
Actuellement, nous cherchons une ou deux personnes, reconnues pour leur intégrité et leur impartialité, ayant l’habitude de ce type d’enquête. Cela pourrait être des magistrats, mais il est trop tôt pour le dire.