#LeTempsAVélo

Durant six semaines, plusieurs équipes de journalistes du Temps et d’Heidi.news se relaient pour parcourir la Suisse à vélo et raconter ses transformations. Suivez leur odyssée grâce à notre carte interactive et retrouvez leurs articles écrits au fil du chemin.

Avec des «si», l’uchronie permet de s’imaginer un autre destin. Quel eût été celui de Bardonnex si, à la fin des guerres napoléoniennes, Genève avait accepté l’expansion qui lui était offerte dans les royaumes de Sardaigne et de France? La commune n’aurait pas, aujourd’hui, ce statut peu envié de frontière par laquelle transitent chaque jour 29 fois plus de véhicules qu’elle ne compte d’habitants – 2388 âmes disséminées entre Landecy, Charrot, Croix-de-Rozon, Compesières et Bardonnex.

«La frontière aurait sans doute été tracée au sommet du Salève. Et le canton se serait développé de manière plus harmonieuse», avance Alain Walder, maire de la commune entre 1999 et 2020. Mais en 1816, lors de la signature du second Traité de Turin, les autorités genevoises ont d’autres priorités que ce débordement en terres catholiques: assurer le désenclavement du canton pour sceller son rattachement à la Confédération et éviter que les protestants ne soient minorisés.

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Une ceinture et des cessions

Sur une carte, le résultat laisse songeur: les communes françaises de Saint-Julien, Neydens, Archamps et Collonges-sous-Salève cernent Bardonnex d’une ceinture autoroutière. Cette commune rurale fait office de pénétrante vers le centre, que l’essor récent de la zone industrielle de Plan-les-Ouates a accentué. Elle semble comme prise en étau entre, d’un côté, l’urbanisation rampante de Genève et, de l’autre, l’aménagement chaotique des municipalités françaises, peu compatible avec l’émergence d’un réseau de transports publics. «Bardonnex deviendra une tache verte dans un océan de bitume», prédit Alain Walder.

Comme la Bolivie, le territoire de Bardonnex a été raboté par ses voisins. Il a fallu céder Perly et Certoux en 1820, Arare et Saconnex-d’Arve trente ans plus tard. En 1995, on a récupéré le hameau de Compesières mais dû léguer 81 hectares à la France l’année suivante. Cette «rectification de la frontière», signée par le conseiller fédéral Arnold Koller, vise à faciliter le raccordement des autoroutes entre les deux pays. Ce paraphe a fait de Bardonnex l’une des sept frontières autoroutières de Suisse, la seule côté romand.

Dans la foulée, la grande histoire frappe une nouvelle fois aux portes de la paisible commune. Dès 2002, la libre circulation des personnes augmente fortement le nombre de travailleurs frontaliers. Et la pression immobilière pousse de nombreux Genevois à s’installer de l’autre côté de la frontière. La fin du contrôle systématique des marchandises dope le tourisme d’achat, surtout depuis la chute de l’euro, dès 2010.

Doublement des flux

Tout cela ne produit qu’un fait tangible pour les Bardonnésiens: une hausse massive des flux transfrontaliers. En 2000, 8800 véhicules traversaient quotidiennement les douanes de Landecy et de La Croix-de-Rozon, et 27 000 via l’autoroute. Quinze ans plus tard, ces chiffres ont doublé, selon le bureau d’ingénieurs RGR. En fin de journée, il est devenu hasardeux de se rendre au bureau de poste de La Croix-de-Rozon depuis Compesières.

Traditionnellement fidèle au PDC, une partie de l’électorat municipal se laisse tenter par les sirènes populistes. En 2010, le maire de Saint-Julien, Antoine Vielliard, lance cet avertissement: «Ce ne sont pas les chômeurs qui votent MCG, mais les habitants de la campagne genevoise. A Bardonnex, Perly, Satigny, ils commencent à comprendre qu’on leur a menti: Genève ne peut pas être à la fois New York et le Gros-de-Vaud.»

Si la problématique est bien identifiée, comment y répondre sans mettre en péril l’attractivité de Genève? Les espoirs se sont portés sur la troisième voie à la douane de Bardonnex, susceptible d’y limiter les embouteillages et de désengorger les villages alentour. Inaugurée en 2015, elle est fermée en permanence, les douanes suisses invoquant des questions de sécurité.

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Difficultés politiques

«Comme l’eau, les frontaliers cherchent le meilleur chemin pour s’écouler vers leur destination», évoque Claude Crottat, secrétaire général de Bardonnex. D’autres solutions ont été imaginées. Au début du siècle, Alain Walder propose de fermer la douane de Landecy. Face au tollé, il renonce. Le problème serait déplacé à La Croix-de-Rozon, Troinex et Veyrier.

Un projet de télécabine entre Bardonnex et l’aéroport est tué dans l’œuf. Le Grand Conseil a aussi retoqué l’étude d’une route d’évitement, lui préférant le report modal vers la mobilité douce. En la matière, les ambitions régionales ont été revues à la baisse depuis le rejet, par les Genevois, de crédits dédiés à la construction de cinq parcs relais en Haute-Savoie. «On s’est tiré une balle dans le pied», résume le natif de Bardonnex Jacques Blondin, député PDC.

De son côté, Collonges-sous-Salève a néanmoins converti un parking existant en P+R, relié depuis 2018 à la ligne 62, qui mène à Lancy-Bachet. Le succès n’est guère au rendez-vous, selon l’Office cantonal des transports: seuls 100 passagers montent dans ce bus.

Et maintenant? On définit un concept multimodal pour la région Genève-Sud, dont fait partie Bardonnex. Le destin de la commune n’est pas près de changer.

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