Le canton de Genève a perdu 35 de ses quelque 300 plus gros contribuables entre 2010 et 2018, principalement au profit de la Grande-Bretagne et d’autres cantons suisses, montrent des chiffres inédits fournis au Temps par l’administration fiscale via le Département des finances et des ressources humaines (DF).

A ce sujet, retrouvez ici l'éditorial: L’archaïsme fiscal valdo-genevois

Ces riches exilés appartiennent à un groupe très restreint ayant payé en moyenne plus d’un million de francs d’impôts cumulés par an à Genève entre 2010 et 2015. Ce montant inclut «l’impôt cantonal et communal sur le revenu et la fortune, l’impôt fédéral direct, ainsi que l’impôt immobilier complémentaire», précise Tatiana Oddo Clerc, secrétaire générale adjointe chargée de communication au DF.

Les données fournies par le canton dévoilent les destinations préférées de ces nomades fiscaux. Dans l’ordre: Grande-Bretagne, autres cantons suisses et Etats-Unis. La Grande-Bretagne est aussi, de très loin, le principal pays d’origine des gros contribuables qui continuent de s’installer à Genève.

Hémorragie nette

Les chiffres du DF ne donnent pas une image complète des entrées et sorties de résidents fortunés à Genève. Ils excluent notamment les forfaits fiscaux, ces régimes taillés sur mesure pour les étrangers qui, sur le papier du moins, ne travaillent pas en Suisse.

Mais malgré ces limitations, les données montrent clairement que ces huit dernières années, Genève a subi une hémorragie nette de très gros contribuables. De 2010 à 2018, on compte 69 départs dans cette catégorie, contre seulement 34 arrivées.

C’est très important, car c’est la première fois qu’on peut vraiment démontrer ce phénomène

Xavier Oberson, avocat et spécialiste de la fiscalité

En huit ans, ce sont ainsi 11,6% des 300 plus gros contribuables genevois qui sont partis. Ces départs cumulés représentent des dizaines de millions de francs de revenus fiscaux en moins chaque année pour le canton. «C’est très important, car c’est la première fois qu’on peut vraiment démontrer ce phénomène» d’exil des super-riches, note l’avocat Xavier Oberson, spécialiste de la fiscalité.

Une opinion de Xavier Oberson: Le bouclier fiscal est essentiel afin d'éviter l'imposition confiscatoire

Impôt insupportable

Quel est le problème? Pour Pierre-Alain Guillaume, de Chabrier Avocats, l’explication est simple: «Genève a un impôt sur la fortune qui peut s’avérer insupportable suivant les circonstances». Notamment lorsque l’administration surestime la valeur des sociétés non cotées et pénalise ceux qui réinvestissent dans leur entreprise, estime ce fiscaliste dont plusieurs clients ont choisi de quitter le canton.

La «circulaire 28» de la Conférence suisse des impôts, récemment actualisée, a aggravé le problème. Elle confirme la méthode d’estimation de la valeur des actions dans des sociétés non cotées, dite méthode du praticien, utilisée comme base de calcul de l’impôt par les administrations cantonales et fédérales. Une méthode qui aboutit à des taxations largement exagérées, d’après les avocats spécialisés.

Traders et vieux Genevois

A Genève, deux catégories sociologiques seraient particulièrement tentées par l’exil: des familles bien établies qui ne supportent plus le climat fiscal, l’insécurité et «le fait qu’on ne peut plus rien construire», selon le mot d’un avocat. Et aussi des Russes, notamment des traders en matières premières, «venus à Genève dans les belles années, et qui finalement trouvent que la Suisse n’est pas si bien que ça».

Où vont les grands contribuables qui partent? Pour 29% d’entre eux, en Grande-Bretagne, destination favorite devant les autres cantons suisses (25% des départs) et les Etats-Unis (17%). Monaco et les Emirats arabes unis sont loin derrière.

Mais potentiellement, les destinations sont innombrables, car des pays comme la France ou l’Italie sont désormais plus attractifs que Genève, regrette Xavier Oberson. «L’Italie a abrogé l’impôt sur la fortune, comme la France d’ailleurs, qui n’a conservé qu’une imposition du patrimoine immobilier», constate-t-il.

Malgré cela, il y a encore des super-riches qui s’établissent au bout du lac. Près de la moitié d’entre eux (47%) viennent de Grande-Bretagne, de loin le premier pays de provenance devant les autres cantons suisses (18%), la France et les Etats-Unis. Il pourrait notamment s'agir de traders en matières premières qui ont de gros revenus (2 à 3 millions de francs par an) et ont été attirés à Genève par l'un des géants du secteur basés sur place.

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Silence vaudois

Quant aux autres cantons suisses – deuxième destination d’exil des contribuables genevois –, les plus attractifs seraient la Suisse centrale (Schwyz, Zoug), Berne, le Valais… Mais pas le canton de Vaud, qui pratique comme Genève un impôt sur la fortune et y ajoute en sus un impôt sur les successions.

Est-ce à dire qu’il souffre du même phénomène d’hémorragie fiscale? Impossible de le savoir, car son administration dit ne pas avoir de données sur ce point. «Le canton de Vaud ne tient pas de statistiques sur le sujet qui vous intéresse; nous ne sommes dès lors pas en mesure de vous fournir ces chiffres», indique Marianne Cornaz, porte-parole de l’Administration cantonale des impôts.

Un argument pour la partisans d'une baisse d'impôts

Il n’empêche, les chiffres genevois amènent de l’eau au moulin de ceux qui militent pour la diminution ou l’abolition de l’impôt sur la fortune à Genève et Vaud. Un sujet politiquement trop sensible pour être mis à l’ordre du jour, tant que la réforme longtemps retardée de l’imposition des entreprises (appelée RIE III, PF 17 puis RFFA) n’a pas été approuvée en votation.

Pourtant, la nouvelle conseillère d’Etat en charge des finances, Nathalie Fontanet, se déclare favorable au changement: «Il est vrai que Genève est le canton qui exploite le plus intensément son potentiel fiscal, indique-t-elle dans une déclaration écrite envoyée au Temps. Nous devons y être attentifs. Aujourd’hui, notre priorité est la réforme de l’imposition des entreprises. Cela fait, je souhaiterais que nous revoyions notre taux d’imposition sur la fortune qui est le plus élevé de Suisse.»


Ronald Zacharias succombe à l’appel du Valais

Ancien député au Grand Conseil et président de l’association «Halte à l’enfer fiscal genevois», l’homme d’affaires et avocat Ronald Zacharias s’installe en Valais. Il annonce formaliser ce jeudi son départ de la commune de Vandœuvres, la plus huppée de Genève. «Je fuis une atmosphère devenue irrespirable, et pas seulement sur le plan fiscal», déclare-t-il, en renonçant du même coup à la présidence de son association. Désormais, il paiera des impôts plus modérés depuis son domicile de Verbier.

«Je n’ai plus confiance dans Genève», ajoute l’ancien colistier du populiste Eric Stauffer. La «non-lisibilité, l’incertitude» et la succession d’initiatives de gauche visant à «alourdir l’imposition» rendraient la situation invivable pour les contribuables les plus taxés. L’impôt est en particulier «massacrant pour tous ceux qui ont peu de revenus et beaucoup de fortune», dénonce-t-il.

Ronald Zacharias ne précise pas les montants exacts qu’il économisera en se domiciliant à Verbier. Mais selon lui, l’impôt valaisan sur la fortune est «durable, moins assassin qu’à Genève». Et l’exil fiscal ne fait que commencer: «J’en connais de nombreux qui vont me suivre», conclut-il.

Une tribune de Roland Zacharias: Le conseiller d'Etat Antonio Hodgers milite contre l'intérêt des locataires!