Genève
Le conseiller d’Etat genevois estime qu’on est loin du plein-emploi qu’affiche la Suisse. En regard d’un autre indice, Genève aurait même plus de chômeurs que la France voisine. Une manière de remettre en selle son parti, le MCG?

La Suisse, îlot paradisiaque au milieu d’un océan de chômage. Une fois de plus, les chiffres du chômage de septembre reflètent un pays en plein-emploi: 2,1% en moyenne suisse, 3,8% à Genève, stable par rapport au mois d’août et le plus bas depuis douze ans. Vaud et Neuchâtel sont à 3,3%, Fribourg à 2,3% et le Valais à 2,1%.
Vraiment? Le conseiller d’Etat genevois MCG Mauro Poggia est loin d’en être persuadé. A l’appui de son doute: les chiffres du Bureau international du travail (BIT), dont la méthode de calcul diffère de celle du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), sur laquelle la Suisse se fonde. Un vieux débat qui alimente à période régulière les discussions politiques.
La différence entre ces deux indices est énorme. Selon la méthodologie du BIT, réalisée par l’Office fédéral de la statistique (OFS) et utilisée partout en Europe, Genève culminait à 11,8% de chômage en 2018, contre 6,9% dans le Genevois français. Les chiffres du BIT pour le premier semestre 2019 à Genève ne sont pas encore disponibles et auront baissé, comme partout ailleurs, mais ils resteront supérieurs à ceux du Seco.
Comment l’expliquer? Le taux du Seco provient de données factuelles, il prend en compte uniquement le nombre de chômeurs inscrits. Le taux du BIT se base sur des enquêtes téléphoniques ou des questionnaires (32 000 personnes pour la Suisse, 2000 pour Genève), et comprend tous les demandeurs d’emploi – les gens qui cherchent sans être inscrits, les personnes au bénéfice de gains intermédiaires ou de mesures de perfectionnement, les chômeurs en fin de droits, les bénéficiaires de l’aide sociale s’ils sont inscrits au service de réinsertion professionnelle. Son périmètre est cependant considéré comme trop large, puisqu’il va au-delà de l’âge de la retraite.
Lequel des deux indices nous renseigne-t-il le mieux? «Nous avons le choix entre la peste et le choléra, répond Giovanni Ferro-Luzzi, professeur à l’Université de Genève. Mais les deux modèles ne sont pas incompatibles, car la nature des informations est différente. On utilise l’approche du BIT, plus qualitative, lorsqu’on a besoin d’une vue d’ensemble, avec des informations plus riches sur les personnes, leur niveau de formation, leur emploi précédent. Si on veut en revanche désagréger le chômage par profession, par nationalité ou par âge, la base de données du Seco, plus vaste et factuelle, convient mieux. Elle permet de faire des ventilations plus précises, contrairement à celle de l’OFS dont l’échantillon est nettement plus petit.»
Le Temps: Le MCG étant le parti anti-frontaliers, vous n’avez pas intérêt à ce que le chômage baisse à Genève. Raison pour laquelle vous préférez la méthode du BIT. Tactique politicienne?
Mauro Poggia: Non. Chacun peut observer de nombreux Genevois sans travail, malgré le discours fédéral qui nous rabâche le plein-emploi. Je veux bien que le taux du Seco soit plus précis, mais pour avoir une vision comparative, il faut utiliser la même grille de lecture que nos voisins. Ce faisant, que constate-t-on? Dans le Genevois français, le chômage est plus bas (à 6,8%) que dans le reste de la France et qu’à Genève. C’est donc que les habitants du Genevois français travaillent ici. Et c’est pour cela que Genève affiche un taux supérieur au reste de la Suisse. Depuis le début de l’année, Genève connaît une hausse importante de postes créés (+2,2%), or l’effectif du chômage reste inchangé. Ces postes n’ont donc pas été attribués à des chômeurs.
Le patronat répète qu’il préfère engager des résidents s’il en a l’opportunité. Il ment?
Il y a un fossé entre le discours et les actes. Suite à une indiscrétion, nous avons appris par Pôle emploi en France voisine que la moitié des frontaliers ayant perdu leur emploi étaient sans formation particulière. Il est donc faux d’affirmer qu’on va chercher en France des gens formés. D’un autre côté, l’économie engage aussi des Français surqualifiés à des salaires supérieurs à ce qu’ils auraient chez eux. Le problème, c’est qu’on a une vision fractionnée des choses. On aimerait savoir qui vient travailler chez nous, dans quel domaine et pour quel salaire. Sans analyse transversale, on ne peut pas lutter efficacement contre le chômage.
Depuis l’an dernier, les secteurs d’activité où le chômage est supérieur à 8% doivent annoncer les postes vacants aux Offices régionaux de placement (ORP). Dès l’an prochain, le plancher passera à 5%. Ce n’est pas suffisant?
Non. Car l’obligation d’annoncer n’est pas l’obligation de recevoir le candidat, encore moins de l’engager. Le Seco n’a d’ailleurs pas évalué l’impact réel de ces mesures sur les demandeurs d’emploi, et pour cause! Leur impact est insignifiant. On a créé une usine à gaz, pire, une usine à désillusions. Les ORP sélectionnent des candidats que les entreprises n’ont nullement l’intention d’embaucher, car elles ont déjà des personnes sous le coude. De plus, le programme informatique qui doit faire correspondre l’offre à la demande n’est toujours pas adapté. Cette mesure, qui se voulait une réponse à l’initiative du 9 février 2014 contre l’immigration de masse, est inopérante. Il faut un électrochoc, sinon l’initiative UDC contre la libre circulation risque d’être acceptée. Je ne souhaite pas que les accords bilatéraux passent de ce fait à la trappe, mais c’est le danger qui guette la Suisse si les entreprises ne comprennent pas qu’elles doivent faire appel aux compétences locales.
Un peu facile de vous défausser sur l’économie, non?
J’ai le soutien officieux des organisations patronales sur la préférence en faveur de nos demandeurs d’emploi. Paradoxalement, les moins favorables sont les syndicats, dont les rangs sont gonflés par les travailleurs frontaliers à qui certains offrent des conditions spéciales d’affiliation. La ville de Genève doit aussi faire l’effort d’embaucher localement, elle dont le bassin de recrutement est historiquement le Grand Genève. De mon côté, j’examine si, légalement, on pourrait faire en sorte que l’obligation d’annoncer un poste vacant soit assortie de celle à recevoir le candidat proposé.
Votre coup de gueule ne serait-il pas plutôt un coup de pouce au MCG à la veille des élections fédérales?
Cela ne m’a pas traversé l’esprit. Je pense à cette problématique depuis longtemps, mais je ne voulais pas polluer inutilement la votation sur RFFA.