Condamné pour corruption, un ancien trader de Gunvor va collaborer avec la justice
Pétrole
Le Tribunal pénal fédéral a infligé 18 mois de prison avec sursis au Belge Pascal C. Cette ancienne star du négociant pétrolier Gunvor a orchestré, depuis Genève, le versement de plus de 43 millions de dollars de pots-de-vin en Afrique

L’enquête suisse menée depuis sept ans sur les pots-de-vin versés en Afrique par le négociant pétrolier Gunvor débouche sur une première condamnation. Star déchue de la société genevoise, le Belge Pascal C. a été condamné mardi à 18 mois de prison avec sursis pour corruption par le Tribunal pénal fédéral. Il a reconnu avoir orchestré le versement de 43,3 millions de dollars de pots-de-vin au Congo et en Côte d'Ivoire, entre 2008 et 2012, en échange de cargaisons de pétrole.
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Ce verdict était attendu, puisqu’il résulte d’une procédure simplifiée, sorte d’entente entre le Ministère public de la Confédération (MPC) et l’accusé. «La peine […] est adéquate notamment en regard du fait que Pascal C. a aidé et continuera à aider le MPC sur les infractions dont il a eu connaissance», a souligné le juge unique Jean-Luc Bacher.
L’audience, qui s’est tenue à Bellinzone, siège du TPF, était la première apparition publique de l’ancien trader depuis le début de l’affaire. Costume noir, attentif et tendu, Pascal C., 46 ans, a indiqué être sans emploi depuis son départ de Gunvor en 2012. Il considère avoir été «blacklisté» dans sa profession, comme marqué au fer rouge par son rôle dans l’affaire.
Pascal C. s’est retrouvé très seul à dire la vérité
Son train de vie a été divisé par dix, au point de devenir, selon son expression, «pas extraordinaire». Avant son licenciement par Gunvor quand l’affaire a éclaté, en 2012, le Belge gagnait 20 500 francs par mois, hors bonus. Aujourd’hui, il touche entre 2000 et 5000 francs par mois, produit d’un million de francs de placements qui lui restent de sa période de gloire. Pascal C. possède encore un appartement près de Genève et un chalet à Villars, biens sur lesquels il paie des hypothèques.
D’une voix faible, l’ancien développeur des affaires de Gunvor en Afrique a confirmé qu’il avait «conscience et volonté de corrompre» lorsqu’il organisait les versements, destinés notamment à des dirigeants congolais. Dont, en bout de chaîne et selon l’acte d’accusation, le président Denis Sassou-Nguesso et sa femme Antoinette.
Pas de pétrole sans corruption
Mais Pascal C. a bien souligné qu’il n’était pas seul à conclure ses «pactes de corruption», selon les mots du MPC. Tout s’est déroulé dans les locaux de Gunvor, «au vu et au su» et «sur instruction» de sa hiérarchie, a affirmé son avocat Matteo Pedrazzini. Selon Pascal C., il est impossible pour un trader, quel qu’il soit, d’obtenir du pétrole congolais sans verser de pots-de-vin.
«Pascal C. est le seul dans cette affaire à avoir dit ce qu’il a fait, a encore souligné son avocat. Il s’est retrouvé très seul à dire la vérité.»
Physique aquilin et sec, petites lunettes et cheveux raides, le procureur fédéral Gérard Sautebin, qui a conduit l’enquête depuis le début, a loué les «aveux sincères et complets» de l’accusé. «Les éléments amenés par le prévenu sont corroborés dans une très large mesure par les éléments du dossier», a-t-il précisé. Cette collaboration justifie une peine qui «peut sembler assez faible», a estimé le procureur.
Gunvor dénonce une procédure «pas équitable»
L’ancien employé a promis de continuer à travailler avec le MPC pour la suite de l’enquête. Elle se dirige en premier lieu contre Gunvor, accusée de «défaut d’organisation» dans la lutte contre la corruption.
Il y a quelques jours, la société pétrolière a manifesté sa mauvaise humeur face à l’entente cordiale entre Pascal C. et le procureur Sautebin. Dans une lettre de son avocat genevois Benjamin Borsodi, elle estime que le fait d’avoir été exclue de la procédure simplifiée «n’est pas compatible avec les principes du procès équitable et de la présomption d’innocence».
Toute la question, désormais, est de savoir quels cadres et dirigeants de Gunvor pourraient être mis en cause durant la suite de l’enquête. «Pour la société, les choses sérieuses vont commencer», se réjouit Delphine Jobin, l’autre avocat de Pascal C.
Gunvor, de son côté, «prend acte de la condamnation de son ancien employé contre lequel elle a déposé plainte pénale [pour escroquerie et avoir détourné une partie des commissions versées à son profit] en 2012», indique la société dans un courriel. «Elle rejette la possibilité d’une implication consciente et voulue de tout autre employé ou cadre actuellement actif en son sein.»