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Ils dessinent le nouveau visage du Jardin des Nations, à Genève

Mandaté par les autorités, un collectif d’architectes s’apprête à remettre le fruit de deux ans d’étude, à grand renfort de concertation. Mobilité, animation et continuité des espaces, de petites touches sont appelées à modifier en profondeur ce quartier à vocation internationale

Ce vaste quartier des Nations, à cheval sur trois communes et bordé par le lac, constitue le parent pauvre de l'urbanisme à Genève.
Ce vaste quartier des Nations, à cheval sur trois communes et bordé par le lac, constitue le parent pauvre de l'urbanisme à Genève.

Disons-le d’emblée, la mayonnaise urbanistique ne prend pas dans le quartier des Nations, a priori dépourvu de nombreux ingrédients qui pourraient en faire un bout de ville vivant. Il faut dire que ce vaste périmètre de Genève comporte son lot de contraintes spatiales (barrières, enceintes, routes) et sécuritaires (ambassades, ONU) qui ne facilitent pas la création d’un espace cohérent au milieu duquel se trouvent aussi un campus, un collège et quelques logements.

Faire de ce «Jardin des Nations» un «quartier-paysage» est le sens de la mission confiée à une équipe d’architectes réunis au sein d’une coopérative genevo-zurichoise, Architecture Land Initiative (ALIN). Mandaté en 2020 par l’Etat de Genève, trois communes et la Mission suisse auprès de l’ONU, le collectif s’apprête à remettre aux autorités leur étude largement fondée sur la concertation des acteurs de ce territoire.

Plus qu’une concertation, à vrai dire, les architectes ont organisé cinq forums, soit une succession d’ateliers et de promenades à pied ayant permis à plus de 200 acteurs, experts et riverains, d’appréhender différemment ce territoire et de participer à façonner son devenir. L’idée étant de dialoguer et de contribuer en court-circuitant les habituelles logiques d’opposition. De s’extraire des «réflexions menées en silos» entre les différents protagonistes devant être consultés, fort nombreux au vu des organisations internationales en présence.

Des potentiels existants à activer

Dans ce que les architectes nomment une «curation territoriale», il ne faudra pas compter sur une révolution urbaine ou la réalisation de grandes infrastructures. La carte qu’ils proposent n’est d’ailleurs pas un «produit fini», plutôt l’expression d’une série de «potentiels pouvant être activés», explique Dieter Dietz. Cela passe par un travail sur ces espaces fragmentés, lieux délaissés et passages fermés, que l’on pourrait désenclaver, animer ou ouvrir.

L’ambition réformatrice n’en reste pas moins élevée. Mise en réseau de parcs et bâtiments publics disjoints, transformations de routes, créations d’espaces publics favorisant la perméabilité de ces «deux Genève», la locale et l’internationale, qui ne s’y fréquentent guère. Transformation aussi de la collaboration entre l’Etat et les organisations internationales, avec la possibilité de constituer un fonds dédié à des actions concertées et transformatrices: projets, plantations, aménagements, qu’ils soient permanents, saisonniers ou éphémères.

Situé devant l'ONU, le Kiosque des Nations était pratiquement à l'abandon. Il a été réanimé cet été.
Situé devant l'ONU, le Kiosque des Nations était pratiquement à l'abandon. Il a été réanimé cet été.

«Ce sont des choses toutes simples qui aujourd’hui n’existent pas et c’est difficile à croire, précise Aurélie Dupuis. Par exemple, le simple fait d’installer une buvette au parc Rigot modifierait complètement la dynamique de l’espace.» Pour tester leurs idées, et convaincre, les architectes vont mettre en place plusieurs «protoprojets» de ce type, comme ils l’ont déjà fait récemment en animant le Kiosque des Nations. Dans ce même parc est prévue l’arrivée d’un foodtruck, qui pourrait attirer la multitude d’employés des environs. L’objectif: créer des «lieux informels», favorisant la rencontre de la Genève locale et de la Genève internationale, qui se côtoient peu, comme le formule Léonore Nemec. Des événements improvisés peuvent se tenir sur les gradins réversibles, où la cinémathèque de l’ONU envisage de projeter des films l’été prochain. Une autre de leurs ambitions: installer des radeaux flottants sur le lac comme à Zurich, et créer un nouvel espace de détente.

La séduisante «voie bleue»

Parmi les potentiels repérés, les architectes aimeraient établir une «voie bleue», en tirant parti du lac, peu exploité dans les environs. Au bout du tunnel reliant sous la route de Lausanne le Jardin botanique au lac, il suffirait d’ouvrir un portail et de restaurer l’ancien ponton des Mouettes genevoises pour connecter ce quartier à la rive gauche. Cet aménagement minuscule est susceptible de produire un grand effet, à travers l’activation d’un réseau de petits bateaux à haute fréquence permettant le report d’un mode de transport à l’autre. «Un déplacement en bateau répond à une demande concrète, mais est aussi une expérience. On arrive ainsi au travail dans un état mental fort différent que si l’on a été coincé dans un bouchon», complète Dieter Dietz, songeant à l’usage de l’eau pratiqué dans des villes comme Copenhague ou Amsterdam.

A propos de voitures, les architectes doivent non seulement composer avec l’existant (route de Lausanne, avenue de la Paix et avenue de France), mais aussi avec ce qui est prévu: l’arrivée de la «route des Nations», qui fournira pratiquement un accès autoroutier à la place des Nations, dès l’année prochaine. Bien obligés de tenir compte de ce projet d’un autre siècle, «nous proposons une sortie du tunnel en zone 30 km/h. Cela réduirait l’emprise de la chaussée pour gagner de la surface pour végétaliser ce nouvel espace», détaille Aurélie Dupuis.