Devant la Cour des comptes, le risque de tétanie
ÉDITORIAL. A Genève, la Cour des comptes est sous le feu des critiques. A poursuivre l’idéal contemporain de contrôle, de transparence et de moralisation de la chose publique, elle pourrait provoquer l’inertie politique

A-t-on déjà vu un gendarme sans pouvoir coercitif faire trembler ceux qu’il admoneste? Oui. A Genève, la Cour des comptes est crainte comme le loup blanc, même si elle n’émet que des recommandations. Désormais, les critiques s’expriment. Les entités auditées racontent leur malaise devant des méthodes contestables, la méfiance qui étreint les services de l’Etat après le passage du «shérif», les coûts financiers parfois disproportionnés, les dégâts humains et politiques.
Chaque époque a ses aversions, ses intolérances et, partant, ses professions de foi. Dussent-elles être le reflet de la candeur. En politique, l’idéal contemporain est le contrôle, la transparence, la moralisation de la chose publique. Tout cela paraît bel et bien, à première vue. Mais il ne faut pas s’y méprendre. Le moyen mis en œuvre pour parvenir à cet idéal répond à une logique déjà éprouvée: la guillotine, et peu importe qu’elle soit actionnée au sens figuré.
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Le problème intervient lorsque le gendarme, en voulant améliorer la qualité des prestations de l’Etat, des communes et des établissements publics, et armé de ses outils de bonne gouvernance, provoque l’inertie. Craignant de se voir épinglés, les hauts fonctionnaires, qui ont rarement le profil des kamikazes, préfèrent se mettre en position latérale de sécurité. Or, toute action politique nécessite un brin de créativité et passablement de courage. Certains grands projets politiques sont parfois advenus grâce à des pirouettes tout juste régulières. Bridez cette énergie par un surcroît de procédures, aussi merveilleusement articulées soient-elles, et vous obtiendrez l’inaction.
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La Cour des comptes demeure un acteur utile. Contrôler les politiques publiques, s’assurer du bon usage des deniers publics, réviser les comptes de l’Etat, fort bien. Mais à Genève, sa marge de latitude est immense. Sorte d’ovni constitutionnel, elle n’est rattachée à aucun des trois pouvoirs, soumise à aucune loi de procédure, et les audités n’ont pas la possibilité de recourir. Hyperactive, elle a publié, en six ans, 83 rapports, dont la moitié porte sur l’administration cantonale et 21% sur les communes. On sait désormais qu’elle provoque aussi des dégâts. L’heure, pour le parlement, de se demander si cette bizarrerie genevoise ne devrait pas être corrigée.
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