Elu au Conseil d’Etat, Pierre Maudet reste député et perce les secrets de la République
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Faisant fi de l’usage, qui préconise une démission du Grand Conseil pour tout élu à l’exécutif, Pierre Maudet siège au sein d’une commission sensible et s’est exprimé sur un dossier qui le concerne indirectement. L’intéressé ne voit pas le problème

L’ancien Pierre Maudet a parfois fait peu de cas du respect des institutions. Le nouveau Pierre Maudet surprend tout autant. Elu au Conseil d’Etat genevois le 30 avril, et dans l’attente de prêter serment mercredi prochain, il n’a pas démissionné du Grand Conseil, comme le veulent l’usage et même la loi. En effet, la «loi portant règlement du Grand Conseil» précise, dans son article consacré à l’incompatibilité, qu’une personne élue à la fois à l’exécutif et au législatif doit, «après les élections, opter entre les deux mandats». Il n’y figure toutefois pas de délai. Interrogé dans la rubrique satirique de la Tribune de Genève, l’intéressé a plaisanté: «J’hésite encore.»
Surtout, le chef de file du mouvement Libertés et justice sociale a profité de cet intervalle d’un mois pour siéger à la Commission de contrôle de gestion (CdG). La plus secrète des commissions dispose de moyens d’investigation plus poussés que les autres et enquête sur les affaires sensibles qui agitent la République. Elle s’est donc penchée, ces dernières années, sur le cas de Pierre Maudet, qui a été, rappelons-le, conseiller d’Etat entre 2012 et 2021.
Pour le député socialiste Thomas Wenger, lui aussi membre de la CdG, «ces allers-retours entre les pouvoirs sont hautement problématiques du point de vue institutionnel et déontologique». Un silence en disant parfois autant qu’un long plaidoyer, le PLR Cyril Aellen, qui a siégé à la CdG lors des cinq dernières années, ne «souhaite plus s’exprimer» sur Pierre Maudet.
Accès à portée de clic
D’un clic, Pierre Maudet est ainsi en mesure de passer en revue tous les dossiers traités depuis janvier 2018. En sa qualité de conseiller d’Etat, il avait notamment été auditionné le 26 juin 2018 alors que l’affaire du voyage à Abu Dhabi n’en était qu’à ses prémices. En obtenant les codes d’accès à la CdG, Pierre Maudet peut consulter les procès-verbaux et constater quels élus ou fonctionnaires ont témoigné en sa défaveur. Et également prendre connaissance des examens menés sur ses futurs collègues du Conseil d’Etat, notamment ceux dont le mandat a été renouvelé, comme Nathalie Fontanet, Antonio Hodgers et Thierry Apothéloz.
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Pierre Maudet ne s’est pas privé, lors de la session plénière du Grand Conseil du 12 mai, de commenter un rapport de la commission qui le concerne. Il s’agissait d’approuver le travail consacré à l’affaire Simon Brandt. En 2019, l’élu municipal PLR a été suspecté d’avoir fait fuiter un document confidentiel et surtout d’avoir consulté la base de données de la police en sa qualité de collaborateur scientifique, deux manœuvres qui ont été évoquées dans des échanges de messages avec Pierre Maudet. Dans ce cadre, Simon Brandt avait été appréhendé au petit matin par la police, soumis à une fouille intégrale avant d’être menotté. Blanchi, il a porté plainte pour abus d’autorité et a obtenu 2000 francs d’indemnités pour tort moral en raison de cette «fouille disproportionnée». Un recours reste pendant devant le Tribunal fédéral.
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Dans leur rapport, les députés avancent une version selon laquelle Simon Brandt n’est qu’une victime collatérale d’un dessein plus vaste consistant à nuire à Pierre Maudet. Dès lors, pour ce dernier, les conclusions de la CdG constituent une aubaine pour accréditer la thèse d’un acharnement judiciaire de la part du Ministère public. Pierre Maudet a donc salué ce «rapport d’excellente facture qui met le doigt sur des abus d’autorité, des abus de pouvoir, une lecture assez particulière de la séparation des pouvoirs».
Au moment de lui passer la parole, la présidente du Grand Conseil, Céline Zuber-Roy, a discrètement froncé les sourcils. Contactée, la PLR explique qu’il ne viole pas l’article prévoyant l’obligation de s’abstenir d’intervenir dans un débat qui le concerne, soulignant toutefois que «c’est une question d’éthique personnelle, surtout lorsque l’objet en question le touche indirectement». Elle ajoute qu’avec Pierre Maudet le «hasard n’existe pas».
La discipline de Mauro Poggia
Ce que l’intéressé confirme: «Il n’y a effectivement aucun hasard dans le fait que je siège à la CdG. C’est une commission intéressante.» En tant que chef de groupe, Pierre Maudet précise avoir «commenté un rapport public» qui a été «traité à ce moment-là selon l’agenda prévu du Grand Conseil». Quant au fait qu’il soit le seul élu au Conseil d’Etat à siéger, il indique que «c’était une occasion de se rendre compte de l’intérieur du travail parlementaire» et qu’il démissionnera du Grand Conseil fin mai avant de prêter serment comme conseiller d’Etat.
Pour sa part, Mauro Poggia, qui passe aussi du gouvernement aux bancs du parlement, s’est fixé une ligne claire: ne toucher à aucun sujet relevant des dicastères dont il a eu la charge, comme la Santé, la Sécurité ou les prisons. Il complète: «On m’a proposé de rejoindre la Commission de contrôle de gestion, mais cela m’a paru inconcevable.» L’élu MCG précise qu’il aurait trouvé «indélicat» de se retrouver en commission face à d’anciens collaborateurs.