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Faut-il faire payer les non-vaccinés? Mauro Poggia lance le débat

Le conseiller d’Etat genevois crée la polémique en invoquant l’idée de faire payer une partie des charges en cas d’hospitalisation de patients réfractaires à la piqûre. Ou quand liberté individuelle et responsabilité collective s’affrontent

Le ministre genevois de la Santé, Mauro Poggia, le 22 janvier 2021 à Genève. — © Kaystone
Le ministre genevois de la Santé, Mauro Poggia, le 22 janvier 2021 à Genève. — © Kaystone

Fidèle à son style offensif, le conseiller d’Etat genevois Mauro Poggia a lancé vendredi un pavé dans la mare. Sur le plateau de Léman bleu, il a évoqué la possibilité de faire payer aux non-vaccinés une partie des charges en cas d’hospitalisation ou d’incapacité de travail suite à une infection au Covid-19. Devant le constat qu’à Genève, 90% des hospitalisés Covid-19 n’étaient pas encore vaccinés au moment d’être admis en unité de soins, ce qui n’est pas une surprise, le ministre de la Santé dit vouloir lancer un débat national sur un thème qui crispe et que «tous les bien-pensants ne veulent pas voir posé sur la table». D’autant plus que le peuple devra se prononcer en novembre sur un deuxième référendum concernant la loi covid, qui sera plus difficile à remporter que le premier.

Poggia persiste et signe

Ses propos n’ont pas manqué de déchaîner les foudres sur les réseaux sociaux. Même son collègue vert, Antonio Hodgers, s’est fendu d’un post rappelant que l’accès aux soins est un droit fondamental et que ce serait la porte ouverte à des pénalités pour les patients souffrant de maladies en lien par exemple avec une mauvaise hygiène de vie. Interrogé, il n’a pas souhaité réagir plus avant. Réaction vive du ministre de la Santé: «Personne n’a à me donner de leçons sur les droits des patients, mon parcours est là pour le rappeler. Mais on ne peut pas comparer la responsabilité devant la vaccination, un acte qui prend deux fois vingt minutes, avec celle d’un fumeur ou d’un alcoolique, qui souffrent d’addictions et à qui on infligerait des malus. Je dis simplement qu’on peut trouver une voie médiane entre ne rien faire et la ligne rouge. Et puis, soit dit en passant, le droit aux soins est déjà touché avec la politique des franchises.»

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Au-delà de la polémique, les propos de Mauro Poggia posent une vraie question, à la fois sociale, éthique et philosophique. Celle de la tension entre liberté individuelle et responsabilité collective. La droite ne s’y est pas trompée, assez discrète sur le sujet, et pour cause. D’un côté, elle ne veut pas laisser à la gauche l’honneur de porter l’étendard de défenseuse de la liberté. De l’autre, elle voit avec angoisse se profiler de nouvelles restrictions par la faute de citoyens peu soucieux du bien commun et pour lesquels l’économie paiera l’addition. Pierre Alain Schnegg, ministre UDC de la Santé bernois, résume ainsi ce malaise: «Aujourd’hui, les restaurateurs sont opposés au passe sanitaire. Mais si, demain, les cas augmentent et que les clients désertent leurs établissements, ils le réclameront.» Malaise encore des milieux économiques face aux quarantaines des personnes contact non vaccinées: «Rester à la maison sans rien faire et recevoir son salaire, est-ce acceptable pour les collègues, les entreprises, l’économie tout entière?, interroge Mauro Poggia. Si vous réclamez la solidarité de la communauté, quelle est votre part à vous? Les non-vaccinés n’ont rien à proposer. Et on voudrait que je regarde les hôpitaux se remplir en me contentant d’afficher sur les bus des incitations à la vaccination?»

Vif débat

Pierre Alain Schnegg, de son côté, voit aussi les risques psychologiques et sociaux qui ne manqueraient pas d’advenir en cas de flambée: «A la rigueur, on paiera encore le risque économique. Mais le risque sociétal de nouvelles fermetures, qui va l’encaisser? On ne peut pas de nouveau fermer la société parce que certains savent soi-disant mieux que les autres!» S’il n’est pas pour autant favorable à sanctionner financièrement les malades non vaccinés, il admet cependant la nécessité du débat, pour le cas où les perspectives s’assombriraient: «Si les soins intensifs sont pleins et que vous avez un patient qui doit être opéré et un autre non vacciné avec le covid, on donne le lit à qui?» Autant de questions auxquelles beaucoup préfèrent se soustraire, en espérant ne pas devoir y répondre un jour.

Au niveau social, les discordes sont de plus en plus vives, sur la place publique, comme dans les cercles privés. Personne n’est indifférent à ce débat véhément, puisque chacun a choisi de tendre le bras, ou non. Les vaccinés acceptent de moins en moins des mesures restrictives, voire liberticides, au prétexte que d’autres privilégient leurs droits avant leurs devoirs. Ils rechignent aussi à ce que le contribuable paie pour des choix individuels. La Confédération doit d’ailleurs prochainement décider de rendre ou non payant le test. Le canton de Berne par exemple y est favorable, et ce dès le 1er septembre: «Les gens qui veulent un test de confort, pour voyager ou aller en boîte, doivent le payer», estime Pierre Alain Schnegg.

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Quant à ceux qui refusent le vaccin, ils ont beau jeu d’affirmer que celui-ci n’est pas obligatoire, et qu’on devrait s’en souvenir. C’est également ce que rappelle la bioéthicienne Samia Hurst, de l’Université de Genève: «La décision de rendre la vaccination facultative est une décision collective, qu’on doit assumer ensemble. Une logique de punition n’est pas cohérente avec ce choix.» Demander une participation financière en cas d’hospitalisation reviendrait selon elle à franchir la ligne rouge de la garantie de l’accès aux soins, «car un paiement supplémentaire serait une barrière devant laquelle on sait que certains renonceront». Pour autant, elle admet une sympathie pour le débat lancé par le bretteur du Conseil d’Etat genevois, puisque la Suisse doit absolument accélérer la vaccination et que compter sur l’information ne sera pas suffisant: «Si l’option envisagée ici n’est à mon sens pas recevable, il faut en revanche effectivement faire mieux en termes de couverture vaccinale et chercher des solutions est donc important. Dans la santé publique, ce sont souvent des paquets de mesures qui fonctionnent.» S’agissant de la politique de la carotte et du bâton, elle devrait s’exercer davantage sur les comportements que sur ses conséquences, plaide-t-elle.

Il se pourrait bien qu’à cette polémique succède le débat. Selon nos informations, le Conseil d’Etat genevois pourrait mettre la sortie de Mauro Poggia à son ordre du jour cette semaine. Et dans le canton de Vaud, le président du PLR, Marc-Olivier Buffat, fustige lundi dans le Blick la «mollesse» des autorités cantonales et fédérales dans la gestion de la crise. Sans aller jusqu’à suivre Mauro Poggia, il leur demande de serrer la vis, sur le modèle Macron. La rentrée s’annonce électrique.