Rue Général-Dufour, les murs doivent s’en souvenir encore. De son rire tonitruant. De ses talons claquant sur les vieux parquets; ou posés, au bout de ses longues jambes, sur son bureau où elle passait des heures à s’entretenir avec ses contacts, au cornet de son téléphone en bakélite. Françoise Buffat, figure mythique du Journal de Genève, s’est éteinte vendredi. Elle avait 84 ans. Son décès survient quelques semaines après celui de sa fille, Juliette Buffat, spécialisée en thérapie de couple et sexologue. Et un peu plus de vingt ans après sa retraite du Journal et une carrière poursuivie comme chroniqueuse à la Tribune de Genève et dans le trimestriel de la communauté juive libérale de Genève, Hayom.

Elégante journaliste remarquée comme correspondante à l’ONU en 1976 par le rédacteur en chef d’alors, Claude Monnier, et auteure d’une dizaine d’ouvrages (romans, nouvelles, témoignages, biographies), Françoise, c’était d’abord une «tronche». Une «forte en tête» qui, de l’avis de tous ceux qui s’en souviennent, ne doutait guère de ses convictions. Crainte des politiciens pour ses éditoriaux et commentaires dont on pouvait ne pas se relever, dictant l’agenda de l’alors surpuissant Parti libéral genevois…

Une thèse avec Denis de Rougemont

Françoise Buffat arrive avec sa famille à Genève en 1942, à l’âge de 9 ans, fuyant son Alsace natale en guerre. Après des études de sciences politiques, une thèse sous la houlette de Denis de Rougemont, elle s’installe définitivement en Suisse. Aujourd’hui, le site de la Société genevoise des écrivains la dit «passionnée d’écriture», et au Journal, elle se distinguait «par sa plume libertine, excellant aussi bien dans le commentaire politique que dans le billet d’humeur et d’humour».

Pendant deux décennies, les séances du Grand Conseil genevois et du Municipal, elle les a toutes suivies ou presque, jusqu’à pas d’heure, envoyant ses papiers jusque très tard dans la soirée, sous forme de «flashs minuit», comme on les appelait alors au Journal. Les conseillers d’Etat et administratifs se les arrachaient pour savoir à quelle sauce ils avaient été apprêtés par celle qui signait le plus souvent «Fbu».

Le hold-up du siècle

Réputée pour faire et défaire les carrières de sa plume de feu, y compris dans son propre camp politique, LA Buffat – comme elle était simplement surnommée par tous – hérite alors du titre à la fois envié et un brin excessif de «8e conseillère d’Etat de la République et Canton de Genève». Ce, alors qu’elle était en réalité Vaudoise: Strasbourgeoise d’origine, elle avait confessé il y a une année au site Nouvelles.ch: «En l’épousant, j’ai hérité du canton de mon mari.»

Mais Françoise, c’était aussi une journaliste de terrain. On se souvient de ce dimanche matin, à 9h30, au bout des Rues-Basses, à Genève, le 25 mars 1990. Elle écrit alors, sur la brèche: «Dans ce quartier d’affaires, tout dort encore. Un passant traverse le passage des Lions lorsqu’il aperçoit, derrière la porte vitrée du N° 6, l’entrée du personnel de l’UBS, un homme bâillonné dans la loge du gardien. Le passant se rue sur un téléphone et, quelques minutes plus tard, la Police est sur les lieux»:

Une page se tourne décidément dans l’histoire du journalisme romand

Que s’est-il passé? «Dimanche matin, en plein centre de Genève, 4 ou 5 bandits armés ont commis le plus gros hold-up de l’histoire policière suisse! A la rue du Rhône, au siège de l’Union de Banques Suisses de Genève, ils ont raflé pour 35 millions de francs en monnaies étrangères. En ouvrant une dizaine de coffres-forts, sans effraction, et sans déclencher l’alarme.»

A l’heure où la presse vit des jours difficiles, Philippa De Roten, elle aussi ex de la «locale» du Journal de Genève et aujourd’hui directrice des programmes société et culture de la RTS, écrivait ce dimanche sur Facebook: «Une page se tourne décidément dans l’histoire du journalisme romand.» Après que dans un resto de la rive droite, la Buffat eut encore une fois éclaté de rire en 2016, toujours selon Nouvelles.ch: «J’ai toujours rêvé d’habiter les Eaux-Vives, vivre au bord du lac. Je ne ficherai plus rien que regarder le Jet d’eau et j’écrirai de la poésie.»