La fronde d’un député genevois contre le numérique à l’école
éducation
Jean Romain, président du Grand Conseil et ancien professeur, part en guerre contre le virage numérique à l’école genevoise. Il y voit une menace pour l’avenir du livre

A contretemps et anti-modes. Le président du Grand Conseil, Jean Romain, PLR et pourfendeur des nouvelles pédagogies à l’école, part en guerre contre le numérique à l’école genevoise. Il a déposé une question écrite urgente au Conseil d’Etat sur l’avenir du livre à l’école, qu’il estime menacé par «l’introduction massive du numérique».
Le Département de l’instruction publique (DIP) a en effet déposé deux projets de loi réclamant 22 millions de francs afin d’investir dans des outils numériques, tablettes et wi-fi, à l’école obligatoire. En novembre dernier, le DIP avait annoncé sa volonté d’enseigner le numérique (les fondements de l’informatique et les bases de la programmation), mais aussi de l’utiliser comme un moyen censé favoriser la collaboration des élèves et le travail par projets.
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«Après l’école inclusive, dont on ne parle plus beaucoup, voici l’école numérique, nouveau dada d’Anne Emery-Torracinta», ironise Jean Romain. Mais l’effet de mode n’est pas ce qui dérange le plus cet ancien professeur: «Si on met des tablettes à disposition des élèves, ils téléchargeront des livres. Or leur version numérique est une version dégradée de l’imprimé. L’école ne doit pas favoriser ce transfert, d’autant plus que chez les jeunes élèves, l’usage immodéré des écrans crée un handicap en termes de capacité de concentration. C’est donc un choix pédagogique irrationnel.» Il y voit aussi un frein au «prêt, tradition pluriséculaire», et rappelle enfin que le livre numérique stagne à 3% de parts de marché. Ce qui lui permet d’affirmer que «l’avenir du livre, c’est le livre».
«Il ne faut pas être hypnotisé par l’outil»
Ce que ne conteste pas Julien Nicolet-dit-Félix, du syndicat des enseignants du cycle d’orientation (Famco), lequel prendra position sur le numérique à l’école lors de sa prochaine assemblée: «Je peux suivre Jean Romain sur un point: il ne faut pas être hypnotisé par l’outil. En français par exemple, rien ne sert de lire un livre sur écran plutôt que sur papier. En revanche, il peut être intéressant d’utiliser la tablette pour chercher le nombre d’occurrences d’un mot. Les craintes de Jean Romain sont déclamatoires.»
De son côté, le DIP fait savoir qu’il réserve sa réponse au Grand Conseil. En novembre dernier, il n’avait pas été plus précis sur la façon dont seront utilisées ces tablettes. «Et pour cause, s’insurge Jean Romain, puisqu’il ne fait que suivre une mode sans questionner sa pertinence. Or il est faux de croire qu’on apprend mieux par le numérique, comme il est faux de penser que l’école inversée va être la panacée.»
Appréhender le numérique de façon critique
Pour l’heure, le député porte le combat tout seul. Il faut dire que son parti s’est positionné en faveur de l’évolution numérique à l’école et qu’il ne se trouve pas grand monde ailleurs pour contester un mouvement jugé inéluctable. D’autant plus que pour ceux qui soutiennent cette évolution, il s’agit aussi de maîtriser l’outil pour s’en défendre.
Comme beaucoup d’enseignants, Julien Nicolet-dit-Félix est persuadé qu’il est nécessaire d’appréhender de façon critique le numérique, afin d’éviter aux élèves de devenir les idiots utiles des géants GAFA. «Mais nous n’avons pas attendu l’initiative du DIP pour empoigner ces sujets, qui figurent déjà au plan d’études médias images», précise-t-il. S’il salue globalement cette évolution, il s’inquiète comme praticien: «Certains cycles d’orientation où le numérique est déjà très présent souffrent de l’obsolescence du matériel et du manque de maintenance. Nous peinons par exemple à remplacer les périphériques. D’autres cycles manquent de salles d’informatique. Décréter le passage au numérique requiert aussi des moyens que nous n’obtenons pas forcément.» Ce n’est pas Jean Romain qui s’en plaindra.