Genève, capitale d’un jour de l’Eglise orthodoxe
Religion
La consécration de l’autel de l’église russe, 150 ans après sa construction, s’est déroulée en présence d’une trentaine de religieux venus de Suisse et de l’étranger. Cette cérémonie réaffirme la place singulière de Genève dans le monde orthodoxe

Les portes du sanctuaire s’entrouvrent, laissant s’échapper un parfum de myrrhe et d’encens. La procession défile dans l’église au son des chants liturgiques en slavon. Une trentaine d’ecclésiastiques en tunique rouge et or venus de Russie, des Etats-Unis, ou encore d’Australie, se mêlent aux quelque 250 fidèles massés dans la cathédrale de l’Exaltation de la Sainte et Vivifiante Croix, communément appelée église russe de Genève.
Ce mercredi matin, l’église, qui a fêté ses 150 ans l’an dernier, accueille un pan du clergé et de la communauté orthodoxe suisse, mais aussi internationale. Diplomates, militaires, élégantes femmes coiffées de foulards colorés: tous sont venus assister à la consécration de l’autel et à la fête de l’exaltation de la Sainte-Croix. A la bénédiction de la croix et des reliques succède la messe, donnée dans une ferveur toute solennelle. Pendant les quelques heures de cette cérémonie, Genève s’est muée en capitale éphémère du monde orthodoxe.
Dons privés
Coiffée de neuf bulbes dorés, l’église de style moscovite byzantin, classée au patrimoine depuis 1979, trône au cœur du quartier des Tranchées à la place des anciennes fortifications de Genève. Lors de sa construction en 1866, le lieu de culte orthodoxe avait bénéficié du soutien de la communauté russe de Genève et même de la famille impériale. Aujourd’hui, les dons privés ont encore une fois permis d’assumer une partie des travaux de restauration, évalués à 5 millions de francs, qui viennent de s’achever. La Ville, le canton et la Confédération ont également participé.
Place mondiale du négoce de pétrole, Genève accueille de nombreux oligarques russes. Est-ce à eux que l’on doit l’opulence du lieu? Monseigneur Michel, archevêque de Genève et d’Europe occidentale, répond laconiquement: «La charité est inscrite dans notre religion. J’ai moi-même été habitué depuis tout petit à déposer une pièce lors de la quête.» A ses yeux, la célébration du jour insufflera un «nouvel élan à la paroisse». «Les fidèles se rencontrent dans la foi, il y a un effet propulsoire.»
Genève, un «cas à part»
La cathédrale de l’Exaltation de la Sainte et Vivifiante Croix, appelée également l’église russe à l’étranger, est réputée plus indépendante, plus libre d’opinions que l’autre église orthodoxe située à Chêne-Bougeries, soumise au patriarcat de Moscou et plus proche du Kremlin. «Genève est un cas à part, une ville internationale à l’aura diplomatique incontestable où la liberté de culte est reconnue depuis des siècles», poursuit l’ecclésiastique à la longue barbe blanche qui officie depuis 2006. Depuis son arrivée, la communauté de fidèles a été multipliée par cinq pour atteindre environ un millier de personnes. «Des Russes, des Serbes, des Roumains, mais aussi des Bulgares, des Grecs et des Ethiopiens», poursuit l’archevêque, qui revendique la mixité du lieu. «Les différences, ce n’est pas ce qui nous occupe. Certains calvinistes m’ont même confié assister à la liturgie au fond de la salle.»
En Suisse, on recense environ 200 000 personnes, comme le détaille Jean-François Mayer, historien et directeur de l’Institut Religioscope. Un chiffre en constante augmentation depuis les années 80. «Plusieurs vagues d’immigration se sont succédé. Après les Russes, puis les ressortissants d’autres pays de l’Europe de l’Est fuyant les régimes communistes, sont venus des travailleurs grecs, serbes ou bulgares puis, plus récemment, des hommes d’affaires russes fortunés. Aujourd’hui, beaucoup se revendiquent culturellement orthodoxes mais pratiquent peu le culte.» Difficile donc pour lui de parler d’une «minorité influente» en raison de sa fragmentation: «La communauté orthodoxe est organisée en plusieurs Eglises nationales. Rappelons que l’assemblée des évêques orthodoxes de Suisse n’existe que depuis 2010.»
Procession en marche
Retour à l’église russe, où une longue file de fidèles s’est formée. A la suite des évêques et des prêtres qui aspergent les murs d’eau bénite, la procession descend les escaliers couverts d’un tapis rouge et s’engage à l’extérieur pour faire le tour de l’église. Etendards, icônes et fleurs se succèdent. A l’intérieur, les chœurs installés de chaque côté de l’autel reprennent de plus belle. Dans un coin, des inscriptions dorées se détachent à la lumière des cierges. La récente rénovation a permis de révéler les fresques et les inscriptions enfouies sous des couches de peinture depuis 1916.
De loin, au soleil de midi, l’église russe ressemble à une pépite d’or dans un quartier chic mais austère. «Lorsque James Fazy a offert du terrain à toutes les minorités religieuses de Genève, il leur a donné l’ordre de construire quelque chose de beau, rappelle une observatrice qui souhaite rester anonyme. De manière générale, les communautés issues de la migration ont tendance à prendre comme modèle ce qui se fait de mieux dans leur pays d’origine. Et à ce jeu, la communauté russe a les moyens.»