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A Genève, la Cour des comptes fait la promotion de l’agrandissement carcéral

L’organe de contrôle a décidé d’évaluer les mesures de réinsertion proposées aux détenus du canton. Le constat est mitigé. Le concept est bon, mais sa mise en œuvre est laborieuse. La faute aux structures et au durcissement sécuritaire

La situation de la prison de Champ-Dollon est décriée depuis des décennies. — © MARTIAL TREZZINI / KEYSTONE
La situation de la prison de Champ-Dollon est décriée depuis des décennies. — © MARTIAL TREZZINI / KEYSTONE

La Cour des comptes a décidé de mettre son nez dans les prisons genevoises. Vaste sujet. Le prétexte: évaluer la pertinence du concept de réinsertion élaboré il y a cinq ans par l’Office cantonal de la détention (OCD). Le constat n’a rien d’un scoop: les mesures proposées pour sortir de la délinquance sont adéquates, mais leur mise en œuvre est fortement impactée par la surpopulation chronique de Champ-Dollon et par la frilosité qui a gagné l’autorité politique depuis de tragiques récidives.

Le rapport plaide surtout pour la nécessité de disposer d’infrastructures suffisantes permettant de garantir la qualité de la prise en charge et de l’encadrement. Voilà un message qui va réjouir le conseiller d’Etat Mauro Poggia, lequel a déjà déposé un projet de planification pénitentiaire allant justement dans ce sens.

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C’est évidemment François Paychère, ancien juge au pénal, qui s’est chargé de piloter ce travail et de rappeler que l’exécution d’une peine privative de liberté vise à améliorer le comportement du détenu afin de préparer son retour à la vie en société. Le concept prévoit en théorie dix axes stratégiques, dont la formation, l’aide au retour dans le pays d’origine, un suivi socio-éducatif spécial délinquance, la préservation des relations parents-enfants, etc. Plus essentielle encore, la réinsertion impose une planification progressive afin que ces personnes ne sortent pas du jour au lendemain sans préparation, ni projet.

«La tambouille»

La Cour a analysé comment les choses se passent dans quatre établissements du canton. Curabilis, qui accueille les détenus sous mesure, a été laissé de côté pour cause de complication excessive liée à l’aspect médical. Pour résumer le problème, François Paychère utilise une formule plutôt imagée s’agissant de la prison qui concentre tous les problèmes: «Ce concept ressemble au menu d’un trois-étoiles alors qu’à Champ-Dollon on sert de la tambouille.»

Dans cet établissement vétuste, «qui tombe sur la tête des gens», les personnes en détention provisoire et en exécution de peine sont mélangées et soumises au même régime. Les quelques 195 places de travail en atelier ne suffisent pas aux besoins. Pour diminuer les effets pervers de cette situation, le rapport préconise d’assurer une meilleure séparation des détenus et de réserver l’aile est de Champ-Dollon (mal-aimée, car mal aérée) à l’exécution de peine. Une idée déjà contenue dans le projet, baptisé «Ambition», du directeur précédent.

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Si la surpopulation carcérale constitue un frein évident à la bonne application du concept de réinsertion, d’autres facteurs entrent aussi en jeu. Le profil des détenus notamment. Ceux qui ont commis un crime listé comme grave sont considérés comme dangereux et exclus, par exemple, du programme d’aide au retour. «Un débat a lieu sur cette question», précise François Paychère. Les étrangers sans titre de séjour sont aussi privés de travail externe (décision du Tribunal fédéral oblige) et ratent de ce fait une étape essentielle de l’exécution de peine.

Lacunes et craintes

Le rapport pointe aussi d’autres lacunes: peu de détenus (six en septembre 2022) suivent une formation professionnelle certifiante, peu d’activités culturelles sont proposées, les assistants sociaux sont débordés par l’urgence, un seul parloir internet a été installé dans les milieux fermés (ce qui réduit les possibilités de formation et d’examen à distance), les femmes sont très défavorisées car peu nombreuses. Enfin, le projet de justice restaurative (instaurant un dialogue entre le détenu et sa victime) a été mis en pause. Faute de volontaires visiblement. Selon Raoul Schrumpf, directeur stratégique à l’OCD, une autre méthode réunissant plus largement des victimes et des auteurs (mais sans liens entre eux) est à l’étude.

Parmi les axes d’amélioration possibles, la Cour recommande encore de favoriser le passage des détenus en régime ouvert, ce qui ne signifie pas les laisser sortir, mais les placer dans un établissement avec plus de liberté de mouvement à l’intérieur. Actuellement, seules six places sont prévues au Vallon et celles-ci ne font même pas le plein. Le faible niveau de sécurité dissuaderait le transfert de ceux qui pourraient prendre la poudre d’escampette. Des craintes souvent excessives sur lesquelles il faudra aussi travailler.