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A Genève, le crime se met (un peu) en quarantaine

La statistique policière montre que les mesures sanitaires ont eu un impact important sur la délinquance de rue et les cambriolages. Par contre, les violences graves sont en augmentation

La commandante Monica Bonfanti et le conseiller d'Etat Mauro Poggia lors de la présentation des chiffres annuels de la police genevoise     — © SALVATORE DI NOLFI/keystone-sda.ch
La commandante Monica Bonfanti et le conseiller d'Etat Mauro Poggia lors de la présentation des chiffres annuels de la police genevoise     — © SALVATORE DI NOLFI/keystone-sda.ch

Le semi-confinement n’aura pas eu que des effets négatifs sur la vie en société. Certaines infractions, dont la commission est rendue plus difficile en raison des mesures sanitaires, ont connu une forte baisse. A Genève, notamment, cambrioleurs, malandrins en quête d’une proie dans la rue ou encore dealers de plein air et autres délinquants de passage ont mis leur activité en veilleuse durant la période la plus critique. Quant à la crainte d’une explosion des cas de violence domestique, celle-ci ne s’est pas confirmée. Les autorités restent toutefois vigilantes car les signalements sont en hausse, les situations familiales s’avèrent complexes, les possibilités de trouver refuge sont moins nombreuses, le diagnostic n’est pas forcément évident à poser et les chiffres noirs restent importants en ce domaine.

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Difficile de savoir précisément ce qui relève des effets collatéraux de la pandémie, même si Mauro Poggia, le ministre genevois et MCG de la Sécurité, tient à attribuer tout le mérite (ou presque) de ce calme criminel à la fermeture et au contrôle plus strict des frontières. Le conseiller d’Etat, qui s’exprimait lors de la conférence annuelle de la police genevoise aux côtés de la commandante Monica Bonfanti et du chef des opérations François Waridel, en est convaincu: «Les délinquants ont moins pris le risque de venir.» Et Genève était surtout beaucoup moins attractive.

Inventivité

En fait, les statistiques montrent une réalité plus complexe. En matière d’infractions au Code pénal, le canton a connu une baisse de 10% l’an dernier (-2% au niveau suisse). La décrue des atteintes au patrimoine (cambriolages et vols sur la voie publique) y est pour beaucoup et confirme une tendance à l’œuvre depuis déjà dix ans. Dans cette catégorie toujours, une analyse de «l’année covid» montre que les mesures fortes ont fait chuter les délits et entraîné une diversification de l’activité. A défaut de pouvoir pénétrer dans des appartements occupés, certains cambrioleurs se sont rabattus sur des locaux commerciaux, des cabanons de jardin, des caves, buanderies et autres locaux communs. Quant aux voleurs à la tire, découragés par des rues désertes et la distanciation sociale, ils sont revenus en force avec la réouverture des commerces avant de déchanter à nouveau.

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Les dealers ont également dû faire preuve d’imagination. «Il y a eu une ubérisation du trafic», a relevé François Waridel, chef des opérations de la police genevoise, en évoquant le transport et la livraison de chanvre à domicile. Finalement, la pandémie a fait monter en flèche un seul domaine: les réquisitions pour bruit, qui sont passées de 6007 en 2019 à 9899 en 2020.

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Violences préoccupantes

Comme ailleurs en Suisse (+9%), les violences graves (catégorie assez hétéroclite qui comprend aussi le viol et le brigandage) augmentent à Genève et de manière encore plus marquée (+26%). Un seul homicide a été perpétré dans le canton en 2020 (et il ne concerne pas la sphère domestique), mais les tentatives et autres agressions avec un instrument (991 armes blanches ont été saisies) sont en hausse. Un phénomène inquiétant a été relevé par François Waridel: «Des bandes de jeunes, sous tension en raison des restrictions sanitaires, se sont affrontées à coups de barres de fer ou de battes de baseball.» Un groupe de police judiciaire a été constitué pour lutter contre ces équipées.

La violence domestique continuera aussi de faire l’objet d’une attention particulière, car les chiffres sont difficiles à interpréter. Le nombre de réquisitions a augmenté de 16%, mais le nombre de cas finalement retenus (1881 infractions, soit 65 de moins qu’en 2019) est en légère baisse. Par contre, les mesures d’éloignement (95 contre 77) sont en hausse. «Un officier de police regarde tous les matins le journal des événements et analyse la situation afin de savoir si les cas ont été pris en charge de manière adéquate», précise Monica Bonfanti. Parmi les victimes, il y a 1482 femmes et 424 hommes, sachant que les enfants sont compris dans les deux genres.

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Confiance retrouvée

Source de satisfaction pour la cheffe de la police, le dernier diagnostic local de sécurité, réalisé juste avant la pandémie, confirme que la peur du crime recule au sein de la population. Seuls 13% des sondés considèrent que la sécurité est le premier problème du canton, contre 44% il y a dix ans. Et ils ne sont plus que 20% à croire que la situation sécuritaire est préoccupante de manière générale, contre 80% en 2010. L’image de la police s’améliore aussi: 61% pensent que la police traite tout le monde de la même manière et 90% disent qu’elle fait du bon travail. Un score quasi soviétique.

Dans le canton de Vaud, les cyberescroqueries se sont multipliées pendant la pandémie

Sur sol vaudois, les chiffres de la criminalité de 2020 sont les plus bas enregistrés depuis plus de dix ans: les infractions au Code pénal ont diminué de 9% par rapport à 2019, confirmant la tendance amorcée il y a quelques années. La pandémie a aussi contribué à cette baisse. Mais si les cambriolages diminuent de 24%, les escroqueries, elles, augmentent de 9% avec une forte prédominance des cyberescroqueries.

«Une priorité en 2021»

«On remarque une réorientation des délinquants. En opérant par internet, ils prennent ainsi moins de risques, peuvent agir depuis n’importe où sur la planète et toucher un plus grand nombre de gens», note Jean-Christophe Sauterel, communiquant en chef de la police cantonale. La brigade spécialisée en cybercriminalité a été renforcée à une quinzaine de personnes. «Nous identifions les modes opératoires et prévenons au plus vite la population, principalement par les réseaux sociaux», détaille-t-il.

Comment se passent généralement ces cyberescroqueries? L’acheteur sur un site de petites annonces n’est jamais livré, ou se voit retirer faussement de l’argent par des paiements en ligne. Il se voit exiger une avance pour une annonce immobilière fictive, ne se fait pas livrer sa marchandise commandée sur un shop en ligne. Il peut encore tomber dans une arnaque amoureuse où le malfrat simule une relation amoureuse pour obtenir de l’argent, ou faire face à quelqu’un qui se fait passer pour un représentant d’une société et l’incite à virer de l’argent à l’étranger.

«Notre priorité en 2021 sera donc de lutter efficacement contre les cas de cyberescroqueries», avance Jean-Christophe Sauterel. Outre les campagnes de prévention, des enquêteurs sont recrutés parmi des spécialistes informatiques et de sciences criminelles pour développer des outils d’investigation sophistiqués.

Collaboration Aïna Skjellaug