«Harcèlement sexuel»
D’où vient le malaise autour de ce directeur? Employé par le DIP depuis plusieurs dizaines d’années et ayant occupé divers postes à responsabilité, M. X a été épinglé cet été par un rapport du Groupe de confiance, cet organe indépendant de l’Etat chargé de recueillir les témoignages de conflits relationnels au travail. Selon le document, il est accusé de «remarques homophobes», de «propos à caractère sexuel et sexiste» ou encore de «diffusion de vidéos inopportunes».
Saisi par plusieurs collaborateurs, le Groupe de confiance a procédé à l’audition de seize témoins. Il considère que «M. X a tenu des propos et diffusé des vidéos importuns à caractère sexuel et sexiste, et ce de manière répétée depuis un certain nombre d’années. Ce faisant, M. X a adopté un management susceptible de générer un climat de travail hostile […] et de mettre mal à l’aise certains de ses collaborateurs.» Dans la synthèse de son rapport, l’organe poursuit: «En sa qualité de directeur, dont le comportement a une incidence sur celui des personnes qui lui sont subordonnées, M. X aurait dû freiner les comportements connotés sexuellement susceptibles de dégrader le climat de travail, ce qu’il n’a manifestement pas fait, au contraire.» En conclusion, il «constate l’existence d’un harcèlement sexuel sous la forme d’un climat de travail hostile imposé par Monsieur X».
Le rapport fait l’objet d’un recours auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice. Contacté, l’avocat du directeur mis en cause, Me Romain Jordan, considère que «le Groupe de confiance a écarté tous les reproches initialement formulés à l’encontre de mon client, décrit par l’écrasante majorité de ses collaborateurs comme compétent, bienveillant et empathique. Le partage d’une blague sur le covid ne saurait raisonnablement justifier qu’on évince tout le reste. Nous sommes confiants dans le fait que la justice l’actera.»
Signature de la ministre
En début d’été, la ministre chargée de l’Education, Anne Emery-Torracinta, a pris connaissance du rapport et l’a avalisé. Dans un document qu’elle a signé, mais qui n’a aucune valeur juridique, la conseillère d’Etat «constate l’existence d’un harcèlement sexuel sous la forme d’un climat de travail hostile imposé par Monsieur X». Elle ne prend toutefois aucune sanction à son égard, et le déplace vers l’autre établissement secondaire, où il doit de nouveau avoir des responsabilités et des personnes sous ses ordres.
Un transfert qui ne passe pas auprès du corps enseignant du CO que le directeur quitte. Dans une lettre adressée à Anne Emery-Torracinta, datée du 13 octobre et signée par 80 collaborateurs, celui-ci écrit: «Après des mois d’un silence très inconfortable pour les collaborateurs du CO […], nous n’avons reçu qu’une unique information: deux directeurs seront échangés. Pour le reste, il semble que la stratégie de communication choisie visait à nous faire comprendre que nous n’avions pas le droit à la parole. Nous sommes restés sur la pénible impression que le devoir de réserve était allégué pour étouffer une situation problématique.» La missive conclut en déplorant «un grand manque de considération» et «une dommageable perte de confiance».
Du côté du CO que le directeur mis en cause doit rejoindre, la réaction est semblable. Dans une lettre également adressée à la ministre, le personnel de l’établissement écrit: «On nous demande d’accueillir un directeur qui ne peut plus exercer [dans le précédent CO, ndlr] pour des raisons qu’on refuse de nous expliciter. Quelques semaines seulement après la rentrée scolaire, alors que divers projets sont en cours […], on nous impose une décision que nous percevons comme absurde, inique et injustifiable. Car s’il faut taire les motifs de ladite décision, c’est que ces derniers sont potentiellement graves. Dans ce contexte, comment espérez-vous que ce changement puisse s’effectuer sainement?»
«Tolérance zéro»
Dans les deux écoles, les enseignants sont irrités par le décalage entre le discours public d’Anne Emery-Torracinta, très strict sur les problématiques de harcèlement, et sa décision. Sur son site internet personnel, la ministre indique en effet que sa «priorité» est d’«assurer un cadre sécurisant et [de] prévenir toutes les formes d’abus ou de harcèlement» et martèle que «le respect et la lutte contre toutes les formes d’abus ou de harcèlement sont des valeurs que je porte en tant que cheffe du DIP, appliquant ainsi un principe de «tolérance zéro», tandis que le corps enseignant s’est vu remettre un kit de prévention du harcèlement sexuel au travail.
Contacté, le DIP refuse de s’exprimer sur la situation. «Nous ne communiquons pas sur des dossiers personnels […]. Ces données font l’objet d’une protection particulière […] et d’un droit de communication à des tiers restreint […]. En tant qu’employeur, nous avons le devoir de protéger la personnalité de nos collaborateurs […]», indique le département par la voix de son porte-parole, Pierre-Antoine Preti.
* Nom connu de la rédaction