«UNIGE is watching you». Ce slogan qui fait référence à Big Brother – le personnage du roman 1984 de George Orwell – tapisse désormais les espaces d’affichage d’Uni Dufour. Une action lancée par la Conférence universitaire des associations étudiant.e.x.s (CUAE) pour dénoncer les méthodes employées par les facultés pour assurer le contrôle des prochains examens de management, de psychologie, de droit ou de lettres.

Sous l’œil de l’université

Les étudiants seront contraints de passer leurs épreuves devant un ordinateur sur lequel le logiciel Zoom ou TestWe a été installé afin de vérifier leur identité, les photographier régulièrement pour détecter leur absence ou la présence d’une autre personne, enregistrer les sons émis dans la pièce, bloquer les raccourcis clavier, l’accès au navigateur ainsi qu’au disque dur de l’ordinateur et alerter le professeur si une activité suspecte est repérée. Tout cela pour éviter une éventuelle triche. «Cette surveillance va beaucoup trop loin, s’exclame Hugo Molineaux, secrétaire permanent du CUAE. Le préposé à la protection des données a lui-même reconnu que cela s’apparentait à de la vidéosurveillance au printemps dernier.»

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En effet, le 30 avril, les préposés – qui ne peuvent pas interdire, mais uniquement recommander – ont rendu un avis défavorable au recours à TestWe, mais notent que «l’utilisation des contrôles de connaissance à distance par l’Unige est nécessaire au vu de la situation sanitaire actuelle». Dans leur recommandation, ils indiquent tout de même «vivement regretter» que l’université ne renonce pas à utiliser de la biométrie, même si le préposé cantonal Stéphane Werly rappelle que la captation de l’empreinte du visage «n’est pas illégale», car ni la loi genevoise ni la loi fédérale ne considèrent à ce jour les données biométriques comme des données personnelles sensibles.

«L’identité de l’étudiant ou étudiante a toujours été vérifiée, qu’il s’agisse d’un examen en présentiel ou à distance, répond Marco Cattaneo, directeur de la communication de l’Unige. Ce contrôle est indispensable pour garantir la qualité et la crédibilité de nos diplômes.» Cela dit, d’autres éléments dérangent les étudiants, comme le fait que ces données soient gérées par des entreprises privées (Zoom est une société américaine et TestWe une start-up française). «Les données sont désormais hébergées en Suisse, sur des serveurs de l’université», indique-t-il. «Nous avons été informés qu’elles seraient conservées pendant soixante jours», précise Hugo Molineaux.

Autre point de friction: le côté intrusif de ces logiciels, notamment TestWe qui peut prendre le contrôle de ce qu’il se passe à l’écran. «Lors de cours en ligne, nous choisissons d’activer la caméra et le micro ou de partager notre écran, poursuit-il. Là, nous n’aurons pas le choix.» L’observation permanente, la crainte d’une mauvaise manipulation et le fait de ne pas pouvoir revenir en arrière lors de la saisie des réponses engendrent davantage de stress. «Entre la situation de crise sanitaire que nous traversons, les cours à distance et la perte pour plusieurs d’entre nous de notre job étudiant, nous sommes déjà assez stressés», déclare Christophe Horta, membre du comité du CUAE. Enfin, l’association étudiante regrette de ne pas avoir été impliquée dans les discussions et réflexions concernant la tenue des examens.

Une tolérance temporaire

C’est pourquoi le CUAE appelle l’ensemble des étudiants à ne pas donner leur consentement à cette pratique. «Même si nous sommes obligés d’installer TestWe sur notre ordinateur personnel pour signaler à notre université que nous refusons de l’utiliser. C’est un comble», témoigne une étudiante en première année à la Faculté d’économie et de management. Elle a demandé à être sur un poste de la faculté pour passer son examen. L’Université de Genève respecte la volonté des étudiants qui ne souhaitent pas passer d’examen à distance. Son directeur de la communication détaille: «Cette minorité sera accueillie en présentiel dans nos locaux et passera l’examen sur la plateforme TestWe, sans activation de la caméra et selon les règles de surveillance habituelles.»

Toutes et tous savaient que les examens de la session janvier-février 2021 auraient lieu en ligne, «mais pas dans ces conditions», complète le secrétaire permanent. Pour le CUAE, il est temps de faire place aux innovations pédagogiques, de repenser les examens. «Certaines épreuves ont déjà eu lieu à livre ouvert au printemps», rappelle Christophe Horta. L’étudiant peut consulter ses notes et accéder à des ressources, car ce qui prime est la qualité de sa réflexion. «De toute manière, si on veut réellement tricher et qu’on est débrouillard, on peut toujours contourner la surveillance informatique. Cela ne règle donc pas le problème de la triche, mais viole notre vie privée.»

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Hors situation d’urgence sanitaire, le préposé cantonal considère qu'«au regard du principe de la proportionnalité, la solution retenue apparaît comme problématique». Stéphane Werly et Joséphine Boillat, son adjointe, veilleront donc à ce que ce procédé, «pour l’heure toléré», ne se poursuive pas au-delà de la session de juin. Auquel cas, l’autorité saisira la Chambre administrative de la Cour de justice pour lui demander d’y mettre un terme.