A Genève, les Fêtes de la dernière chance
Manifestation
Alors que les festivités démarrent jeudi dans un contexte tendu, les forains ont ouvert leurs manèges par anticipation et sans autorisation. La Ville veut sanctionner. Et les Fêtes ne sont pas encore sauvées

Faux départ pour les Fêtes de Genève, qui n’avaient pas besoin de cela. Alors que la manifestation estivale doit démarrer jeudi 3 août, les forains ont donné le coup d’envoi le 1er août déjà, sans autorisation de la Ville, rapporte la Tribune de Genève. Alléchés par une soirée supplémentaire de rentrées financières, ils n’ont pas résisté à faire tourner leurs manèges pour la fête nationale.
Ils avaient pourtant consulté Christian Kupferschmid, directeur des Fêtes. Lequel, dans un habile exercice de contorsionniste, leur avait tenu à peu près ce langage: «Je leur ai dit que stratégiquement ce n’était pas malin de faire un pied-de-nez à la Ville, celle-ci ayant été sympa de les laisser revenir vers le centre. Mais d’un point de vue entrepreneurial, rester fermés alors que leurs installations étaient prêtes ne faisait pas non plus beaucoup de sens.»
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Alors que la manifestation estivale genevoise joue cette année son va-tout, s’exposer à une nouvelle fâcherie avec la Ville n’était pas la meilleure idée. Il suffit, pour s’en convaincre, d’écouter le conseiller administratif en charge de l’environnement urbain et de la sécurité, Guillaume Barazzone, qui promet de sévir: «Nous souhaitons sanctionner ce comportement, puisque il y a eu violation de l’autorisation d’exploiter du domaine public qui prévoit que les Fêtes commencent le 3 août et que les organisateurs n’avaient pas d’autorisation cantonale d’exploiter, comme exigé par la loi. Nous verrons après analyse.» Les forains s’exposent à des amendes allant de 100 francs à 60 000 francs.
Une manifestation d’irrespect
Le maire de Genève, Rémy Pagani, n’a pas non plus goûté au comportement licencieux des forains, tout occupé à célébrer conjointement les fêtes nationales de la Suisse et du Bénin: «Le concept d’ouverture des manèges pendant dix jours a été âprement négocié entre Genève Tourisme et la Ville, à cause de la votation à venir sur le raccourcissement des Fêtes. Je crains que les Genevois ne sanctionnent durement ce comportement.» «Cette attitude risque de renforcer les initiants qui vont y voir une manifestation d’irrespect, renchérit Guillaume Barazzone. Pour sauver les fêtes, ce n’était pas la meilleure manière de procéder.»
Sauver les fêtes, c’est bien de cela qu’il s’agit. D’abord en raison de la votation à venir, à laquelle le Conseil administratif de la Ville, suivi par le Conseil municipal, a concocté un contre-projet sur dix jours. «Car si l’initiative passe, le modèle économique actuel est mis en péril», avertit Guillaume Barazzone. Mais même ainsi, amputées des pré-fêtes qui rapportaient entre 300 000 et 400 000 francs, le succès de la manifestation n’est pas assuré. Après le fiasco du Geneva Lake Festival qui a englouti 3,5 millions de francs l’an dernier, ces Fêtes sont celles de la dernière chance.
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Un jugement que Christian Kupferschmid, en selle depuis février seulement, ne conteste pas: «L’effort est général pour remettre le bateau à flot.» Mais force est de constater que quatre ans après le début des hostilités, les Fêtes de Genève se retrouvent au point de départ: «Le défi est loin d’être gagné, car on a placé haut la barre, explique Bernard Cazaban, porte-parole. On doit réaliser des Fêtes aussi belles qu’avant, mais avec moins d’argent. C’est une année test.» Avec un budget de 3,5 millions de francs, le déficit prévisionnel est de 450 000 francs. Un dépassement conséquent pourrait signer leur arrêt.
Un cocktail qui ne fait pas l’unanimité
Faut-il le rappeler? Ce ne sont pas les impôts des Genevois qui alimentent la manifestation. La Fête doit s’autofinancer grâce à l’apport des sponsors, de la location des emplacements et des places payantes au Grand feu d’artifice. A ce jour, les sponsors ont répondu présent, mais certains sous forme de contre-prestations. Sur la centaine de stands, 99% sont attribués et le budget prévisionnel est respecté. Quant aux sièges pour le feu d’artifice du 12 août, 35% à 40% seulement sont vendus à ce jour. Ce qui n’inquiète pas les organisateurs, sachant que l’essentiel de la vente se fait traditionnellement dans les dix derniers jours et que les dernières 48 heures ont connu une envolée. Si le feu coûte 700 000 francs – 1,2 million avec l’infrastructure – il profite à 250 000 personnes mais 9000 au maximum s’acquittent du spectacle.
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En revanche, il faut payer cash les artificiers ainsi que les artistes. «Si nous avions plus de moyens, on pourrait se permettre de faire venir des grands groupes, mais on ne peut pas dépenser l’argent qu’on n’a pas», note Christian Kupferschmid. Les organisateurs misent sur de bons ensembles et une programmation éclectique. Sur l’île Rousseau, qui devait initialement accueillir de la musique classique, il y aura finalement surtout du jazz, du funk et peu de classique. Les stands font la part belle aux restaurateurs genevois et aux «food trucks», mais des espaces pique-nique sont aussi prévus. Pour la clôture, le spectacle des chevaux de lumière a dû être annulé pour raisons logistiques, mais il sera remplacé.
Des fêtes «tutti frutti» qui laissent Rémy Pagani songeur, lequel en profite pour mettre en avant son succès helvético-béninois: «Quand il y a un concept cohérent et qui correspond à ce que nos artistes sont capables de produire de mieux, les gens viennent en masse, on l’a vu pour la fête nationale.» Pas sûr qu’un public aussi bigarré que celui des Fêtes de Genève le suive. Pas sûr non plus que le modèle d’autofinancement y suffise. Plaire au plus grand nombre sans fâcher personne, il semble que ce soit devenu, au bout du Lac, un défi colossal.