A Genève, la guérilla juridique des syndicats de police
Recours
AbonnéLes recours se multiplient contre les décisions de la hiérarchie policière et traduisent un climat devenu de plus en plus tendu. Deux de ces requêtes viennent d’être déclarées irrecevables par la Cour de justice

Fidèles à leur réputation, les syndicats de la police genevoise ne lâchent jamais le morceau. En pleines fêtes de fin d’année, ceux-ci annonçaient, via la Tribune de Genève, leur intention de saisir la Chambre constitutionnelle pour attaquer la manière avec laquelle l’autorité s’apprête à mettre en musique les modifications légales votées récemment par le parlement. Manière qui ne correspond visiblement pas à tous leurs desiderata. En attendant de savoir ce que les juges penseront de cette démarche, deux recours, émanant de ces mêmes syndicats ou de leurs membres les plus en vue, viennent d’être déclarés irrecevables. La guérilla a ses limites.
Le premier arrêt, daté du 13 décembre dernier, a été rendu par la Chambre administrative. Un policier, par ailleurs secrétaire général de l’Union du personnel du corps de police (UPCP), contestait sa mutation provisoire à la centrale d’alarme pour cause de manque critique d’effectifs. Représenté par Me Daniel Kinzer, il affirmait que cette décision constituait une sanction déguisée motivée par un courrier du syndicat des gendarmes, signé de sa main et adressé à la commandante, dénonçant «la vision stratégique opérationnelle inexistante» en matière de planification des horaires.
Pas de sanction déguisée
Cette procédure a duré longtemps et les juges ont procédé à des auditions avant de conclure que non. En substance, l’arrêt souligne que les conditions pour admettre une sanction déguisée sont strictes et ne sont pas remplies en l’espèce. Le sergent-chef n’a subi aucune baisse de traitement (celui-ci a même été augmenté d’une indemnité pour «responsabilités spéciales»), son grade n’a pas été modifié, ses horaires ne l’ont pas affecté et il avait le profil recherché pour s’intégrer rapidement à ce poste. De plus, cette mutation (qui a pris fin après environ une année) répondait, faute de volontaires, à un besoin du service concerné.
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Enfin, l’argument de la mesure de rétorsion au courrier syndical «ne saurait être suivi», dit encore l’arrêt. Les courriers de ce type sont nombreux et jamais aucun reproche n’a été formulé à l’encontre de l’intéressé. Au contraire, le policier, affecté au Centre de planification des opérations, a toujours fait l’objet de bonnes évaluations. Au final, les juges estiment que la hiérarchie – qui doit bénéficier d’une certaine souplesse dans sa politique de mise à contribution du personnel – a suffisamment démontré que ce déplacement était nécessaire et judicieux au regard des aptitudes du fonctionnaire. L’avis de mutation n’est dès lors pas attaquable et le recours irrecevable. Le Tribunal fédéral peut encore être saisi.
Mauvaise voie
Le second arrêt, daté du 22 décembre 2022, est de la Chambre constitutionnelle. Les recourants (le syndicat des gendarmes et de la police judiciaire ainsi que leurs présidents respectifs) s’opposaient à la nouvelle mouture d’un ordre de service qui prévoit notamment (c’était d’ailleurs déjà le cas avant) que tout collaborateur ayant commis une violation grave de ses devoirs doit le signaler au chef de service, qui transmet l’information à la commandante de la police. Histoire que de sérieux dérapages (par exemple un excès de vitesse ou une bagarre intervenus dans d’autres cantons ou pays) ne passent pas sous les radars.
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Les syndicats demandaient l’annulation de cette obligation de se dénoncer, qui viole à leurs yeux le droit de ne pas s’auto-incriminer. La Chambre constitutionnelle considère que la voie très étroite qui lui permettrait de contrôler abstraitement la validité d’une telle ordonnance n’est pas ouverte, puisque la Chambre administrative pourra de toute manière s’y pencher si l’argument est évoqué à l’occasion d’un recours contre une sanction disciplinaire contestée par un policier.
Une suite devant le Tribunal fédéral? Me Romain Jordan, qui représente les syndicats, dit examiner la question. «Il est surprenant de devoir recourir, au XXIe siècle, pour faire reconnaître ce que la jurisprudence a pourtant acté depuis fort longtemps: il n’existe pas d’obligation de se dénoncer dans une société démocratique comme la nôtre.»
Cette obligation, formulée de manière encore plus large dans la directive de 2009, n’avait pourtant jamais fait tiquer son monde. C’était avant que l’ambiance ne se dégrade encore plus.