Jean-Louis Meynet: On redécouvre en fait, à chaque épisode, les différences structurelles entre les territoires du Grand Genève: le prix de l’essence ou des cigarettes, les crispations au moment de la crise sanitaire, le nombre de frontaliers en croissance continue – plus de 100 000 –, qui fait de ce territoire frontalier sa mono-activité. Genève, cité internationale pour partie hors sol, puise depuis toujours dans son hinterland. De son côté, le Genevois français a développé une économie du lotissement dérégulée et atomisée sans pilotage réel et il est devenu le dernier paradis du centre commercial en France. Ces territoires de banlieue subissent des difficultés objectives en termes d’inégalités: Annemasse, une des villes les plus inégalitaires de France, Archamps l’une des plus riches. Avec partout des logements hors de prix et par conséquent des déséquilibres sociaux.
Il reste que le Pays de Gex et surtout la Haute-Savoie avec ses 10 000 nouveaux habitants chaque année sont parmi les régions les plus attractives de France.
Oui, mais la croissance des emplois et des revenus quasi continue depuis quarante ans a produit une richesse sans développement au sens économique, sans levier pour l’avenir. L’impasse est double: pour le Genevois français qui ne peut envisager autre chose que servir Genève et pour Genève, hémiplégique d’une certaine façon, qui se prive d’une capacité de penser et de construire une métropole européenne de premier ordre sans ses voisins. Le fait économique est le générateur de cette situation, il est comme le père absent de la famille du Grand Genève. Les métropoles modernes telles Copenhague, Francfort, Lyon, Barcelone sont attractives, ouvertes et surtout toutes engagées dans des processus de décarbonation, de nouvelle compétitivité et d’attractivité. Le Grand Genève en est loin.
Il y a tout de même le Léman Express qui est une réussite et il existe des institutions transfrontalières dont une assemblée franco-suisse du Grand Genève.
Le Grand Genève ne sera jamais grand s’il ne prend pas en main son avenir socio-économique. Toutes les métropoles occidentales travaillent à leur projet territorial de transformation, tentent de construire un écosystème compétitif. On ne peut résumer le projet territorial d’une métropole au seul aménagement des systèmes de transport. Le Grand Genève a pour seul objectif de maîtriser les effets induits de la croissance par la mise en cohérence de la politique publique d’aménagement du territoire.
Comment, dès lors, mettre en œuvre cet autre aménagement que vous évoquez?
Il faut, ensemble, parler d’implantation d’activités, de formations, de création d’entreprises, de télétravail. Les cadres mêmes de l’économie moderne sont en pleine transformation et réclament des efforts de coopération à tous les niveaux pour imaginer et développer cette ville verte, compacte, multipolaire et compétitive. Cela nous impose de parler économie du Grand Genève. Cette question centrale n’existe pas aujourd’hui. On se contente de ce marché, un peu limité et implicite, des emplois frontaliers, une bonne rente foncière pour une richesse de façade. Coup sur coup, Antonio Hodgers et Fabienne Fischer ou même la Fondation pour l’attractivité du canton de Genève affichent des intentions qui vont impacter directement le Grand Genève et donc les marchés de la France voisine. Le voisinage sans partage, l’international sans le local!
Le projet d’autoroute dans le Chablais français qui va longer et concurrencer le tracé du Léman Express irrite les autorités genevoises. Existe-t-il un manque crucial de concertation ou s’agit-il d’une illustration supplémentaire du «chacun dans son jardin»?
Dans ce cas, nous sommes exactement dans le chacun chez soi. C’est pour cela qu’il faut essayer de dézoomer notre regard en invitant Lyon et Grenoble au projet économique.
Vous pensez cela réellement envisageable?
D’aucuns parleront d’irréalisme, à court terme bien sûr, mais c’est une ambition. La région frontalière doit se donner un objectif de développement d’une autre teneur que d’être le territoire servant de Genève. Cette dernière a mieux à faire avec son territoire de proximité que des zones de parkings, des logements et du recrutement intensif. La métropole de demain va nous demander des efforts de compréhension, d’imagination et des projets d’un tout autre niveau. Car la situation frontalière est aussi pourvoyeuse d’opportunités: ouverture européenne, différences culturelles, réseaux nouveaux. Je propose des états généraux de l’économie du Grand Genève. C’est un moyen de mettre en avant le sujet, de réunir les acteurs, de travailler les bonnes questions économiques et sociales.