Derniers des Mohicans
Tout en se remémorant, goguenard, la tentative de remise du «pipeau d’or» par leurs soins au conseiller d’Etat, Jonathan affirme être prêt à négocier: «On ne nous a rien offert en échange. Nous payons un loyer – même s’il est faible – car nous avons parfaitement conscience que les squats sont une pratique d’un autre temps.» Alors que le nombre de squatters a culminé aux alentours de 2000 personnes au début des années 2000 avec plus de 100 squats dans le canton, les membres de Xénope font figure aujourd’hui de derniers des Mohicans. Ils semblent être les ultimes héritiers de cette pratique. Interrogé sur les raisons de cette disparition, Jonathan hausse les épaules: «La répression juridique et policière est beaucoup plus violente aujourd’hui qu’à l’époque. Ce ne sont pas les squatters qui ont perdu mais les milieux immobiliers qui ont provisoirement gagné la bataille.»
Le Conseil d’Etat a décidé en 2016 d’expulser les habitants de Xénope pour y mettre une trentaine de réfugiés. Ardents défenseurs des personnes en exil, Jonathan et ses camarades Ivan et Rémi sont amers: «Nous étions responsables du mouvement No Bunkers après l’incendie des Tattes. Et nous sommes les premiers à dire que les requérants d’asile sont mal logés. Mais virer 15 personnes pour en mettre 30, c’est ridicule! L’Etat possède de nombreux bâtiments vides. Mais il n’en fait rien.» Présent depuis les débuts de l’occupation, Jonathan se souvient de leur arrivée: «Nous étions une cinquantaine. Nous avons contacté le rectorat d’entrée de jeu. Ils nous ont envoyé une force spéciale de la police. Ils nous criaient: «Sortez! Sortez!» Mais nous n’avons pas bougé.» Il se rappelle aussi cette première semaine d’occupation passée à la lumière des bougies à la suite des coupures de courant orchestrées par la police.
Héritiers des années 90
Assis sur l’une des chaises de la salle de réunion, Jonathan est entouré de livres. Méticuleusement classés, les ouvrages sont séparés par thèmes: Sexualité, Truands, Squat ou encore Police. «Ils s’intéressent à nous, alors on s’intéresse à eux», rigole-t-il. Cherchant désespérément un ouvrage qui recensait les squats des années 2000, il peste: «Lors de sa dernière perquisition en avril dernier, la police a emporté notre ordinateur où nous avions référencé tous les ouvrages. Du coup, on ne retrouve plus rien.»
Au premier étage se trouvent les espaces communautaires comme la salle de réunion et la cuisine. Dans la cave, les membres de Xénope ont installé divers ateliers. Fervents adeptes d’une démocratie directe, leurs décisions sont prises à l’unanimité et de manière horizontale comme à l’époque à Rhino où à Artamis. Membre du collectif, Carmen réfute pourtant une quelconque nostalgie de l’époque des squats. «Les années 90 ne nous manquent pas, mais c’est vrai que nous sommes un peu les héritiers de cette culture.»
Ateliers pratiques
Formant une communauté soudée, les habitants de Xénope comptent sur des gens de l’extérieur pour dynamiser leur offre culturelle, élément essentiel des mouvements de squat. A ces fins, ils ont organisé par le passé les CCC, Café, Croissant, Connaissance. Aujourd’hui, ce sont plutôt des ateliers pratiques, notamment de confection de meubles, ou des journées de travail agricole dans le potager qui ont lieu. En short et pull à capuche, la barbe taillée à la serpe et les mains burinées par le travail manuel, Ivan nous montre les différentes affiches préparées pour leur manifestation du 1er juillet. Entre les images d’époque qui rappellent les squats et les luttes sociales des années 90, le slogan «Malagnou restera» se lit un peu partout.
Recours au tribunal
Ayant fait recours au Tribunal des baux et loyers, les habitants savent qu’ils ont gagné quelques mois de répit. Mais à travers cette mobilisation, ce charpentier de profession espère «élargir le débat sur le logement en amenant une réflexion plus large sur la gentrification et la précarisation des locataires». Dégoûté, il en veut pour preuve les nouveaux duplex construits en lieu et place de l’Hôtel California, ancien squat mythique dans les années 2000 aux Pâquis. «C’est un symbole de la politique de la Ville», s’exclame-t-il.
Contacté, Roland Godel, porte-parole du Département des finances, ne partage pas la vision de Xénope: «Lors des discussions menées en 2014, il était parfaitement clair que le bail signé était d’une durée déterminée et non renouvelable.» Réfutant le caractère politique du dossier, il ajoute: «Les habitants de Malagnou semblent tentés de se poser en victimes d’un système, alors qu’ils ont eu le privilège de développer un projet dans des conditions remarquables.» Reste à savoir combien de temps les Conchois pourront survivre sans potion magique.