Petite déception
Au pied du carrousel d’Alain Bergdorf, les lumières crépitent, mais l’ambiance est maussade. «On a l’impression d’être dans une ville morte, la chaleur intense décourage les rares clients», lâche, amer, le président de l’Union des forains de Genève en soulignant qu’aucune publicité officielle n’a été faite. Le chiffre d’affaires, «la moitié moins que l’année dernière à la même période», s’en ressent. Au total cette année, une quarantaine de forains seulement ont pris leurs quartiers sur le quai Wilson après avoir âprement négocié avec la ville. Ils étaient le double l’an dernier.
En cette fin d’après-midi, les nacelles des manèges tournent à moitié vides. Les touristes moyen-orientaux et asiatiques déambulent, barbe à papa à la main. Habituée des lieux depuis une dizaine d’années, la famille Al Thani, originaire du Qatar, confie sa petite déception: «C’était plus impressionnant avant, on pouvait se promener tout le long du lac et manger dehors le soir. Heureusement qu’il y a tout de même de quoi occuper les enfants.» L’employé du ticket corner du coin se montre plus sévère: «Beaucoup de grandes familles du Golfe arrivées en juillet sont déjà reparties, voyant qu’il n’y avait pas les animations habituelles. Quelle perte pour Genève!»
«Chute vertigineuse»
A deux pas de là, à l’hôtel Kempinski, son directeur, Thierry Lavalley, également président de la Société des hôteliers genevois, s’avoue lui aussi inquiet. «Il n’y a pas de Fêtes, un saupoudrage d’activités estivales tout au plus, comment attirer les touristes dans ces conditions?» déplore le professionnel qui table déjà sur un recul des nuitées durant l’été, ce qui empêchera la branche de franchir le cap des 3 millions atteint en 2017. Sa plus grande crainte? Une «chute vertigineuse» à partir de dimanche, lorsqu’il n’y aura «strictement plus rien».
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L’annulation des festivités est selon lui hautement dommageable, particulièrement pour la clientèle du Golfe qui a découvert Genève à travers les Fêtes dans les années 70. Pour rebondir l’an prochain, Thierry Lavalley préconise des partenariats publics-privés sous la gouvernance de la ville. «Genève est en compétition avec une cinquantaine de destinations européennes, le cadre seul ne suffit plus, il faut innover, tirer profit de nos ressources, à commencer par le lac qui est aujourd’hui sous-exploité.»
Il faut se méfier des ressentis et impressions toutes personnelles. Les statistiques de fréquentation ne seront disponibles que début octobre
Lucie Gerber, porte-parole de Genève Tourisme
Pour Lucie Gerber, porte-parole de Genève Tourisme, pas de quoi s’alarmer: «Le feu d’artifice reste le symbole des Fêtes comme on les a connues les années précédentes. L’essentiel est sauf.» Elle souligne par ailleurs que la Rade reste animée tout l’été grâce aux différents événements organisés par la ville (Ciné Transat, scène Ella Fitzgerald, etc.), plutôt destinés aux Genevois, mais ouverts à tous. Quant à une éventuelle perte d’attractivité de Genève, elle précise: «Il faut se méfier des ressentis et impressions toutes personnelles. Les statistiques de fréquentation ne seront disponibles que début octobre.»
«Année de transition»
Bernard Cazaban, ancien porte-parole de la manifestation pour Genève Tourisme, se montre lui aussi bon joueur. «C’est une année de transition, la population a été avertie et n’est pas déçue, estime-t-il. Les forains amènent un semblant de fête, L’Escale ne compense pas mais a le mérite d’exister.» L’éventuel désamour des touristes? Un mythe à briser. «Les Fêtes de Genève n’ont jamais été un produit d’appel pour les touristes, le premier marché touristique de la ville reste la Suisse alémanique. Quant à la clientèle du Golfe, dont le nombre baisse légèrement depuis quatre ou cinq ans et se répartit entre Montreux et Vevey, elle vient avant tout pour les magasins de luxe, les restaurants, les montagnes proches.»
Au cœur de cet été chamboulé, une chose n’a pas changé: le chantier du feu d’artifice installé quai Gustave-Ador. Quelque 27 artificiers s’y activent pour ajuster les derniers détails du spectacle pyromélodique de samedi, sous la houlette des frères Guinand. Un ballet de 45 minutes, coordonné au centième de seconde, au cours duquel exploseront 4120 bombes de 75 à 250 millimètres.
Sous les tentes disséminées au bord de l’eau, des mains habiles affûtent chandelles et mono-coups sur des palettes de bois. Nouveauté cette année: des émoticones (smiley et cœur) font leur apparition. Au total, 2,4 tonnes de poudre noire seront nécessaires pour allumer le feu.
Deux rives, deux ambiances
Direction Baby-Plage. L’heure de l’apéro approche, L’Escale se remplit tranquillement. L’ambiance est décontractée, sans prétention. Les uns se prélassent dans des hamacs tandis que d’autres sirotent un verre, perchés sur la structure de bois. «Avec des prix astronomiques et une programmation musicale mainstream, les Fêtes étaient devenues largement impopulaires, estime Romain, Genevois de 30 ans, en pleine partie de pétanque avec un ami. C’est simple, on n’y allait jamais, parce que ça ne ciblait pas nos envies.» A la buvette, le responsable, Laurent Churet, confirme: la clientèle de L’Escale, «en immense majorité des locaux et des expatriés», n’est pas celle des anciennes Fêtes de Genève. En attendant une offre renouvelée et fédératrice, un «entre deux» innovant qui viendra peut-être l'an prochain, chacun choisit sa rive.
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