Frais
Un rapport de la Cour des comptes fait un constat sévère du manque de contrôle des dépenses des conseillers administratifs de la ville. Des élus se sont fait rembourser des frais apparemment privés. Le collège a édicté un règlement qui doit combler ses lacunes

A la tête de la ville de Genève règne une certaine désinvolture. C’est l’impression que donne la lecture du rapport de la Cour des comptes consacré aux frais professionnels du conseil administratif et de la direction de l’administration publié ce jeudi. La ville, dit-elle, a pris la mesure de ses manquements et a promulgué le 1er novembre un nouveau règlement, comblant ainsi une lacune identifiée par cet audit. Il en faudra plus pour effacer l’image d’élus inconséquents avec l’argent public et qui, attrapés sur le fait, avancent des explications abracadabrantesques.
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Guillaume Barazzone, le plus dépensier
Chaque conseiller administratif a touché en 2017 (année sur laquelle la Cour des comptes s’est penchée) un salaire brut de 253 923 francs et une allocation forfaitaire de 13 200 francs. Enfin, les élus ont droit à un remboursement de leurs frais professionnels sur présentation d’un justificatif. Le rapport dénonce des lacunes dans ce dernier aspect, soulignant l’absence de contrôle au sein du collège et de la direction. «Le caractère professionnel de certains frais n’a pas pu être démontré, souligne Isabelle Terrier, la magistrate responsable de l’étude. La pratique du conseil administratif n’obéit pas aux directives de l’administration fiscale», à laquelle la Cour a dénoncé cette situation. Les juges parlent d’une «organisation opaque couplée à une exemplarité défaillante» (voir le rapport et son résumé).
Les auditeurs ont eu accès à toute la comptabilité 2017. Ils ont choisi de s’attarder sur des échantillons. Avec 17 315 francs remboursés pour son téléphone mobile, le PDC Guillaume Barazzone a été le plus dépensier du collège. Le conseiller national cumule les reproches. Certains de ses trajets en taxi se sont faits nuitamment. L’achat d’alcool fort, d’une bouteille de champagne et de trois cocktails dans un dancing lui est reproché.
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Un collège contrit
Après la conférence de la Cour des comptes, le conseil administratif s’est présenté contrit à la presse. «J’ai commis des imprudences et fait des erreurs involontaires», a dit Guillaume Barazzone. Il concède un usage extensif de son téléphone portable, parfois à des fins privées, mais conteste le faire par convenance personnelle. Lui et d’autres ont demandé à plusieurs reprises de modifier un abonnement Swisscom datant de 2006 et ne correspondant plus au prix du marché. C’est aujourd’hui chose faite. Cela a pris du temps, a expliqué Sandrine Salerno, ministre des Finances, car la ville était liée à une négociation entre l’opérateur national et un consortium de plusieurs administrations publiques.
Les dépenses de Guillaume Barazzone dont le lien avec sa fonction publique est douteux? Le PDC dit que sa carte de crédit privée ressemble en tout point à celle qui lui a été fournie à son entrée en fonction. L’alcool fort (384 fr.)? Le champagne (364 fr.)? Les trois cocktails (78 fr.)? «L’argument d’exemplarité est recevable, répond Guillaume Barazzone. Je ne le referai pas.» Le PDC a annoncé qu’il avait remboursé, «après une réflexion personnelle» et même s’il n’avait violé aucun règlement, 51 896 fr., correspondant aux frais de téléphone (41 000 f.) et à des achats effectués entre 1h et 6h du matin sur lesquels des doutes sont permis concernant leur aspect «public» depuis son élection en novembre 2012. «S’ils ne sont pas spontanés, ces remboursements ont eu lieu avant mon audition par la Cour des comptes. Je ne veux pas que le contribuable soit lésé», a précisé l’élu.
De Tannay à Marseille
La Verte Esther Alder est épinglée pour un usage abusif du taxi par confort personnel (3014 fr.), dit le rapport. L’élue conteste cette «interprétation de la Cour»: un trajet tous les trois jours lui paraît une moyenne raisonnable pour une fonction qui demande jusqu’à huit déplacements par jour. Et ce même si elle dispose d’une place de parking privée, payée par la ville. C’est également le cas de Rémy Pagani, «pour épargner à un chauffeur de la ville une tâche ingrate». Les juges ont notamment identifié, le concernant, un repas à Tannay et un autre à Marseille. De même qu’une facture lors d’un jour férié, le 25 décembre. «On est perpétuellement sollicité, perpétuellement en représentation, répond l’élu d’Ensemble à gauche. C’est la réalité de notre charge.» Ces dépenses ont toutes des liens avec son mandat, dit-il: à Tannay, pour convaincre du bien-fondé du projet de gare souterraine à Cornavin, à Marseille, un repas avec un syndicaliste, concernant son département. «Le 25 décembre, je travaillais», conclut-il.
Un examen mené dans un climat hostile
L’examen s’est déroulé dans un climat hostile, a dit Isabelle Terrier. «Pour la première fois, une entité a tenté d’empêcher la Cour de faire son travail», a ajouté son président, Stanislas Zuin, faisant référence au fait que la ville a voulu imposer la présence d’un avocat lors des entretiens avec les auditeurs. Du côté du conseil administratif, on parle d’une incompréhension sur l’étendue des demandes. La volonté de jouir d’un accès illimité et permanent au système informatique a d’abord semblé excessive au collège. «Nous regrettons le ton très dur, inadéquat et contre-productif» employé par les juges, a déclaré le maire, Sami Kanaan.
La ville ne suivra pas trois des onze recommandations émises. Publier annuellement les rémunérations, les prestations perçues et le détail des frais professionnels remboursés aux élus, la ville ne le fera que si d’autres communes s’y plient, répond-elle. «C’est un niveau de détail qui n’est pas utile au citoyen, dit Sandrine Salerno. Cela créerait un climat de suspicion.»