Post Tenebras Lux. A l’approche de la trêve des confiseurs, au fond de ce chaudron politique en perpétuelle ébullition qu’est Genève, se dessine la possibilité d’un miracle. Celui de la décongestion du canton. Le chemin est étroit et l’équilibre ne tient qu’à un fil, mais les perspectives de déblocage existent, à tous les étages.

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Il y a tout juste une année, la fonction publique était dans la rue, un parlement déchaîné privait l’Etat de budget et la grande réforme de l’imposition des entreprises (RIE III) était tout juste un énorme point d’interrogation. Comme le symbole d’une crispation généralisée, le Grand Théâtre était attaqué à l’huile de vidange et la culture s’apprêtait à prendre le maquis contre «l’austérité». D’un bout à l’autre du territoire, les Genevois pestaient. Contre les bouchons, la pénurie de logement, la classe politique.

Un an plus tard et contre toute attente, au matin du débat budgétaire, une fenêtre s’ouvre. Comme un drapeau blanc agité par le gouvernement, le projet de budget 2017 a calmé les fonctionnaires et fédère derrière lui une drôle de majorité, malgré un Grand Conseil éclaté en trois blocs. L’alliance de circonstance est fragile, électrique et instable, mais suffisamment large pour imposer la concorde contre les faucons de tous bords.

Dans ce dossier comme dans celui de la RIE III – un paquet désormais bien ficelé –, le canton a le compromis à portée de main et se prend à rêver d’une éclaircie durable. Après avoir assuré le financement de la Genève internationale, fait la paix des transports ou encore acté la construction de la Nouvelle Comédie, les Genevois et leurs élus sauront-ils jeter les bases d’un avenir radieux? Tour d’horizon volontariste.


■ L’espoir budgétaire

Le débat budgétaire qui s’ouvre ce jeudi au Grand Conseil est le premier test sérieux pour le scénario de l’accalmie. «On a fait les maths, ça passe», assure un défenseur du projet gouvernemental. «Ça», c’est un budget déficitaire à hauteur de 77 millions, à peine retouché en commission, censé apaiser le débat politique.

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Malgré les hauts cris des syndicats et de l’extrême gauche, la mouture du gouvernement se veut généreuse: hausse des charges supérieure à celle des revenus, retour des annuités pour les fonctionnaires, créations de 356 postes, objectifs d’économies revues à la baisse pour les charges de personnel. Bien accueilli à gauche lors de sa présentation, ce projet est combattu par une opposition contre-nature: le PLR, qui a échoué à imposer l’équilibre en commission, allié aux rigoristes budgétaires de l’UDC et à… l’extrême gauche, pour qui l’austérité reste aux commandes. Face à eux, le PS, les Verts, le PDC et le MCG, dans le rôle des partis gouvernementaux.

Quelle tournure prendront les débats? Selon nos informations, PS, Verts et MCG déposeront quelques amendements, pour un total de 3 millions de francs environ, en faveur de l’aide et des soins à domicile, des transports publics et de l’Hospice général. Sur un budget de plus de huit milliards, ce léger surcroît de dépenses ne devrait pas suffire à refroidir l’enthousiasme du PDC. «Trois millions, c’est le seuil de douleur», assure une source proche du gouvernement.

Si la gauche ne se montre pas plus gourmande, le budget devrait être adopté. A plus forte raison qu’une poignée de députés PLR – ici plus radicaux que libéraux – devraient soutenir le budget contre leur parti. «Mais il suffit d’un rien pour que tout s’écroule, poursuit la source. A Genève, les vieux démons ne sont jamais très loin.»


■ Le rêve d’une paix fiscale

C’est un objet politique non identifié. Depuis plusieurs semaines, les cinq partis gouvernementaux négocient les conditions d’une paix fiscale pour les cinq prochaines années. Une convention de six pages, dont «Le Temps» a obtenu copie, grave dans le marbre les conditions de la mise en œuvre de la RIE III et le catalogue des mesures de compensation qui vont avec, pour des pertes fiscales évaluées à 350 millions.

Mais le texte va beaucoup plus loin. Il institue un véritable armistice. Les parties s’engagent à maintenir les prestations publiques en suspendant le frein au déficit pendant cinq ans, mais aussi à ne déposer aucun objet concernant la taxe professionnelle (qui serait donc maintenue), l’imposition sur le lieu de domicile (renvoyée aux calendes grecques), le bouclier fiscal (maintenu lui aussi) ou encore la réévaluation du patrimoine immobilier. La trêve s’accompagnerait d’un retrait des projets de lois en cours, de l’engagement à ne déposer aucun objet de nature à «alourdir ou diminuer les charges salariales» ni aucune initiative qui «aurait pour conséquence de diminuer les recettes fiscales».

Les négociations portent sur des détails. Le PS exige par exemple que la part des dividendes imposables soit augmentée de 60 à 80%, plutôt qu’à 70% comme le prévoit le projet du Conseil d’Etat, ou que le plafond du déficit budgétaire admissible soit relevé de 350 à 450 millions. Des exigences inaudibles à droite. Mais ces détails cachent un problème de fond: le parti socialiste ne veut pas vraiment signer. Aucun des ténors du parti n’ayant envie d’apparaître aux yeux de la base comme celui qui a donné son blanc-seing à une baisse fiscale historique.

En l’absence d’une figure socialiste comme celle du vaudois Pierre-Yves Maillard, capable de convaincre son camp que des mesures d’accompagnements négociées valent mieux qu’une réforme brutale, la convention risque de finir à la poubelle, dès ce jeudi matin. Le cas échéant, comme le résume un proche du dossier, «la droite arrivera probablement à faire passer la RIE III toute seule, même sans mesure d’accompagnement. Mais si elle le fait, la gauche va lui faire la guerre pendant dix ans.» En clair, ce n’est pas l’avenir de la RIE III qui se joue sur cette convention, mais plutôt la solidité de l’édifice.


■ Les extrêmes en disgrâce

En 2015, les élections municipales stoppent la fulgurante ascension du MCG. Après avoir réussi à placer l’un des siens au Conseil d’Etat, le modéré Mauro Poggia, le parti ne parvient pas à conquérir le terreau communal, abandonnant un cinquième de ses élus dans la bataille. Quant à Eric Stauffer, cofondateur du parti, il est éjecté de la mairie d’Onex, puis poussé hors du parti. Il annonce depuis un retour vengeur au printemps 2017 sous la bannière d’une nouvelle formation politique «ni gauche ni droite». Autant dire que l’apparition d’un «MCG bis» ne concourrait qu’à affaiblir l’ancienne formation d’Eric Stauffer, déjà en panne de leadership.

La situation n’est pas bien meilleure pour Ensemble à Gauche. En 2015, la formation conserve ses dix sièges au Conseil municipal de la Ville de Genève et parvient dans la foulée à augmenter son score au Conseil national sans pour autant y placer l’un des siens. Mais l’avenir de l’extrême gauche genevoise s’annonce compliqué. Depuis le mois d’août, la nébuleuse de la gauche compte sur une nouvelle composante: le Parti radical de gauche (PRG), fruit d’une scission du DAL, l’association de défense des aînés, des locataires, de l’emploi et du social. Ce divorce préfigure-t-il un échec de l’extrême gauche aux élections cantonales de 2018? Les paris sont ouverts. Mais l’histoire démontre que la division ne lui a jamais porté chance, la gauche dure ayant déserté les fauteuils du Grand Conseil pendant huit ans.

Reste l’UDC genevoise, qui progresse toujours mais trop lentement aux yeux de ses dirigeants. Lesquels espèrent bien capitaliser sur l’élection du Romand Guy Parmelin au Conseil fédéral pour donner un second souffle à une formation, qui n’a jamais su s’imposer en terres genevoises. Mécaniquement, le lent délitement des extrêmes semble augurer d’un retour vers une configuration droite-gauche en 2018, mois imprévisible que la polarisation du Grand Conseil en trois blocs.


■ Culture, l’année de tous les espoirs

Et si le renouveau sur la scène culturelle était pour maintenant? Il y a quelques mois encore, quiconque eût affirmé cela aurait été orienté d’urgence vers un psychiatre. Les coups de massue succédaient aux éclaboussures de peinture furieuses. Le 19 décembre, des manifestants avaient maculé la façade du Grand Théâtre, histoire de dénoncer les coupes budgétaires du canton qui avait eu le mauvais goût d’épargner l’institution. Le 28 février, la population genevoise avait refusé l’extension et la rénovation du Musée d’art et d’histoire.

Crise, dites-vous? Défiance maximale en tout cas. Les milieux culturels ne venaient-ils pas de lancer un référendum en Ville de Genève pour s’opposer aux restrictions budgétaires? Mais le 5 juin, la population disait non, elle aussi, aux économies. Et depuis il est permis aux optimistes d’imaginer un autre chemin où le nid-de-poule et l’embûche ne seraient plus rois. Non que toutes les tensions se soient évaporées. Mais la conjoncture est unique, de mémoire de grognard de la République.

2017 est l’année de tous les espoirs. Jugez-en. D’ici à la fin du printemps, la Comédie, le Grand Théâtre, le festival de La Bâtie, le Théâtre Saint-Gervais, le Grütli notamment connaîtront le nom de leurs futurs directeurs ou directrices. C’est ce qu’on appelle un changement de casting à très grande échelle. Ces nominations seront l’occasion de repenser l’offre et de remodeler le paysage culturel à moyen terme.

Avancée encore. Dans les semaines qui viennent, les marteaux-piqueurs feront trembler la parcelle prévue pour la Nouvelle Comédie, dont l’inauguration est prévue en janvier 2020. Quant au très espéré Pavillon de la danse, il devrait être enfin sur orbite: le conseil municipal devrait voter son crédit de construction; et cette structure élégante s’élever d’ici à la fin de 2018 sur la place Sturm. Alors certes, la voie n’est pas tout à fait royale. Beaucoup s’inquiètent de la charge qui pèse désormais sur la Ville, après une répartition des tâches qui a vu le canton se désengager d’un certain nombre de domaines. N’empêche que les conditions sont réunies pour créer un courant inédit en terre calviniste.

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■ Fonction publique: merci et à l’année prochaine!

Jeudi, au crépuscule, le Cartel intersyndical de la fonction publique manifestera devant les fenêtres du Grand Conseil pour faire savoir tout le mal qu’il pense du projet de budget 2017. Avec un espoir: rameuter davantage de fonctionnaires qu’à fin novembre, où seuls quelques irréductibles avaient suivi. «Nous aimerions recommencer comme l’année dernière», s’enthousiasme Marc Simeth, président du Cartel. Entendez les fonctionnaires dans la rue, sept jours de grève au compteur. «Mais comme les autorités n’ont pas fait d’attaques directes, il est difficile de mobiliser les collègues malgré le fait que les coupes budgétaires continuent», poursuit-il.

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Pas d’attaques directes, c’est le moins que l’on puisse dire. Au début de l’année et en l’absence de budget, le Conseil d’Etat avait fini par concéder la victoire aux syndicats, remisant ses propositions de 42 heures de travail hebdomadaire et de coupes sévères. Mieux: le Grand Conseil a même rétabli les annuités pour 2016. Du coup, le Cartel pourrait en être cette fois pour ses frais. Si les fonctionnaires ne cèdent pas aux sirènes des syndicats, la République pourrait retrouver la paix sociale, momentanée à tout le moins.

Il faut dire que le budget n’apparaît pas comme un exercice d’austérité, même si 358 millions d’économies récurrentes ont été réalisées depuis 2015. Une lecture qui n’est évidemment pas celle de Marc Simeth: «Avec ces économies, des postes ne seront pas remplacés, alors que la plupart des services fonctionnent en sous-effectifs. C’est dans le social qu’il y a le plus de casse. Dans l’enseignement, on a raclé les fonds de tiroir. Alors prétendre que le conflit s’est apaisé me fait hurler de rire!» Reste à voir si le gros des troupes de la fonction publique s’esclaffera avec son chef de file. Parions plutôt pour un sourire partiel augurant de l’apaisement.


■ Des éclaircies sur le front de la mobilité

Après avoir connu plus d’une décennie d’hostilités entre automobilistes et adeptes de la mobilité douce, le canton peut enfin espérer des améliorations sur le front de la mobilité. Symbole de cette détente: le plébiscite de la loi-cadre sur la mobilité par le Grand Conseil, puis par 68% des électeurs en juin 2016. Un texte qui hiérarchise «par secteur» les priorités accordées à chaque mode de transport permettant aux zones denses (hypercentre et centres urbains) de se tourner vers les transports publics et la mobilité douce.

Dans les prochaines années, plusieurs infrastructures majeures de transport vont surtout sortir de terre. Il y a d’abord le Léman Express, tissu ferroviaire de 230 kilomètres qui reliera les réseaux français et suisses, et dont la mise en service est agendée pour le deuxième semestre 2019. «Une infrastructure qui fera basculer Genève dans la mobilité du XXIe siècle», se réjouit Thomas Wenger, député socialiste au Grand Conseil et président de l’Association transports et environnement. Six ans plus tard, c’est un autre chantier pharaonique qui s’ouvrira: l’extension souterraine de Cornavin. Elle devrait permettre d’absorber le doublement, d’ici à 2030, de la fréquentation quotidiennement de la gare.

Si les conditions sont réunies pour améliorer la circulation, il s’agit aujourd’hui pour le gouvernement et son conseiller d’Etat chargé des Transports Luc Barthassat de dégager des millions supplémentaires, préviennent la gauche et les partisans de la mobilité douce. Dans le cadre de la RIE III, le ministre a déjà emporté 16 millions de francs chaque année pour constituer un fonds destiné à renforcer les offres de transport aux heures de pointe sur le trafic pendulaire et presque 18 autres millions sur cinq ans pour réaliser notamment de nouveaux aménagements cyclables. Cela suffira-t-il? «Disons qu’il y a des éclaircies mais pas encore d’ensoleillement», conclut Thomas Wenger.

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■ Le logement prend la vague

Ce n’est pas encore Byzance, mais il est désormais permis d’en rêver: à Genève, le logement se détend quelque peu. Le taux de vacance a passé de 0,2% à 0,5% en moins d’un an; à défaut de baisser significativement, les loyers n’augmentent plus. Faut-il en créditer les pouvoirs publics? En partie.

En 2015, un peu plus de 2000 logements ont été construits dans le canton, un record. Et le temps pour délivrer les autorisations de construire a été divisé par deux entre 2011 et 2015. «Nous sommes au début de la vague, et cela va s’accélérer dans les cinq à dix ans, promet Antonio Hodgers, le conseiller d’Etat concerné. Ce qu’on planifie aujourd’hui aboutira à un développement que Genève ne connaît plus depuis cinquante ans». Des projets d’envergure semblent en effet basculer de l’intention à la réalisation. Un premier coup de pioche symbolique a été donné au quartier de l’Etang, qui abritera 1000 logements. Les plans localisés de quartier des Sciers (600 logements) et de Vieusseux – Villars – Franchises (550 logements) ont été adoptés. Et le projet Praille-Acacias-Vernets (PAV), 230 hectares pour 12 400 logements, promet les premiers pour 2021. Un accord avec l’Asloca a en effet permis de revoir le ratio prévu, qui se monte désormais à deux logements pour un emploi, contre la parité auparavant. Nouvelle promesse d’avancée: le projet de loi sur le PAV que le ministre vert a promis de soumettre au peuple sera déposé en janvier.

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La machine immobilière semble à nouveau opérationnelle. Même Christophe Aumeunier, secrétaire général de la Chambre genevoise immobilière, n’en disconvient pas: «L’accord sur le logement de 2006 porte ses fruits aujourd’hui». Pour autant, il craint que ce ne soit une embellie passagère: «Malgré le fait que le conseiller d’Etat soit jeune et dynamique, je doute que sa volonté de révolutionner les choses soit opportune. Car le Conseil d’Etat revient sur les termes de l’accord de 2006 en proposant deux tiers de logements subventionnés.» Un reproche qu’Antonio Hodgers balaie: «Pas du tout! Nous proposons un tiers de logements d’utilité publique, un autre tiers de PPE et de loyers libres et un dernier tiers de logements non subventionnés mais à prix contrôlés. Ceci pour la classe moyenne, prétéritée. Car elle gagne trop pour obtenir un loyer subventionné et pas assez pour acquérir un logement.» Le ministre compte bien inscrire le dégel à son bilan.


■ CPEG: le gros nuage noir

Un chiffre donne le vertige: 7,5 milliards de francs. C’est le montant théorique dont la Caisse de pension de l’Etat de Genève (CPEG) aurait besoin si cette dernière voulait couvrir aujourd’hui 80% de ses engagements, comme l’exige la législation fédérale, mais en 2052. Avec la troisième réforme de l’imposition des entreprises, la santé financière de la CPEG est assurément l’un des dossiers majeurs de cette législature.

Fruit de la fusion entre la CIA et la CEH – caisses de pension respectivement des enseignants et de l’administration centrale, et du personnel des établissements publics médicaux –, la CPEG assume dès sa naissance en 2014 un handicap: celui d’être sous-capitalisée. Un chemin de croissance trop optimiste alors que le taux plancher a été aboli et que les taux d’intérêt flirtent avec le zéro, un ratio entre actifs et pensionnés qui se dégrade, et des prestations généreuses versées sans qu’elles ne soient intégralement financées pendant des dizaines d’années, conduisent la Caisse à prendre une première décision en novembre: son comité propose un rehaussement de l’âge de la retraite de 64 à 65 ans. D’autres mesures devraient suivre mais ne suffiront vraisemblablement pas à faire décoller ce gros-porteur au-dessus des exigences cantonales et fédérales.

Quelle sera la facture finale? Sans connaître toute la batterie de mesures que doit légalement prendre la CPEG, il demeure difficile d’estimer précisément l’ampleur de la somme. Mais elle se chiffrera vraisemblablement en milliards de francs. Seule certitude, c’est au Grand Conseil que reviendra la tâche de décider de la manière dont la Caisse sera recapitalisée (emprunt, transfert d’actifs) et s’il faut préférer un modèle de primauté de cotisations à celui de la primauté des prestations, actuellement en vigueur. Dans l’attente d’une décision, la position des syndicats de la fonction publique sera moins confortable dans le bras de fer qui les oppose à un gouvernement genevois de droite.

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