Urbanisme
Mardi, le collectif «Contre l’enlaidissement de Genève» a manifesté pour dénoncer une «politique d’urbanisme à marche forcée». Le conseiller d’Etat Antonio Hodgers réplique

«Genève en mains des bétonneurs, ça suffit!» Mardi à l’heure du déjeuner, une centaine de personnes ont manifesté sur la place de Neuve contre le Plan directeur cantonal 2030. Une action de plus pour le collectif apolitique «Contre l’enlaidissement de Genève», qui dénonce l’urbanisation effrénée de la cité. Né sur Facebook en 2016, le mouvement, qui regroupe près de 1000 membres, exige un moratoire d’un an.
Surélévations, démolitions, constructions: pour les manifestants, Genève a pris le chemin du «bétonnage sauvage», au détriment du patrimoine bâti. Le constat dressé tient de l’apocalypse: destruction de maisons de maître, suppression d’espaces verts, arrachage d’arbres anciens. Le tout portant dangereusement atteinte au patrimoine, à la qualité de vie, mais aussi à la biodiversité.
Crise du logement «inexistante»
Les membres du collectif, tous des propriétaires de villas défendant jalousement leur pré carré? «Non, il y a des personnes de tous horizons, des locataires, des familles avec peu de moyens qui s’inquiètent de la gentrification des Pâquis ou de la Jonction», détaille Leila el-Wakil, fer de lance du mouvement citoyen, historienne de l’art et architecte. «Tous sont sous le choc face à cette transformation trop rapide, trop importante, qui va à l’encontre du bien commun.»
Et la crise du logement, alors? «Inexistante», selon Christian Gottschall, géographe et membre de l’association Pic vert, qui rassemble les propriétaires de villas. «Des milliers de bureaux sont vides, des projets pharaoniques comme le PAV stagnent, des terrains déclassés restent inexploités.» A ses yeux, l’Etat n’a qu’un but: «Accueillir 100 000 nouveaux habitants sur un espace réduit, alors qu’il faudrait au contraire repenser la croissance à la baisse. A force d’agir sans concertation, les recours s’accumulent. On va dans le mur.»
L’héritage architectural en péril
Pour Leila el-Wakil, cette densification met en péril l’héritage architectural genevois. «L’Etat pratique la politique du coup par coup, attaque partout sans cohérence.» Exemples: sur le plateau de Saint-Georges au Petit-Lancy, à Chêne-Bougeries et Grange-Canal, dans les villages «autrefois préservés» de Troinex et Bernex, où les villas du XIXe siècle disparaissent. Selon elle, Genève vivrait même un phénomène d’acculturation. «On veut tourner brusquement une page, remplacer le patrimoine d’hier par du béton sans âme. C’est oublier que le futur est dans le passé.»
Critiqué pour sa «politique libérale», le chef du Département de l’aménagement, du logement et de l’énergie se défend. «Je ne suis pas l’apôtre de la croissance absolue, prévient d’emblée Antonio Hodgers. Genève importe chaque jour 130 000 frontaliers pendulaires avec les problèmes de mobilité qu'on connaît. Il est temps que la ville assume enfin son statut de métropole économique et rattrape un retard de plus de vingt ans en matière de logements et d'infrastructures.»
Espaces verts
A Genève, la zone villa représente 47% du territoire bâti, mais n’héberge que 13% de la population. «L’urbanisation ne touchera qu’à 11% de cette zone, c’est très peu, précise le conseiller d’Etat. Sans bétonner à tout va, mais en créant au contraire 60 hectares d’espaces verts et publics sur l’ensemble du canton. Le patrimoine fait lui aussi l'objet d'une attention particulière: «Un recensement architectural exhaustif du canton est en cours. Sacrifier la villa des Feuillantines pour bâtir la future Cité de la musique n’a certes pas été un choix facile, reconnaît Antonio Hodgers, mais on ne peut pas tout garder, il faut aussi penser au patrimoine de demain.»
Face à «l’alliance des conservateurs», le magistrat reste serein. «Tout changement suscite une résistance, estime-t-il. Les manifestants sont nostalgiques d’une Genève des années 70-80 qui n’existe déjà plus. Or, développer ne signifie pas enlaidir. Une ville vivante se renouvelle.»