A Genève, des militants occupent un immeuble pour dénoncer un marchand de sommeil présumé
Logement
AbonnéJeudi matin, dans le quartier des Pâquis, un groupe d’activistes a investi l’immeuble qui avait partiellement brûlé en 2021 afin d’en faire «un lieu de vie collectif». Le propriétaire, visé par une enquête pénale, a déposé plainte pour violation de domicile

«Nous réquisitionnons ce bâtiment!». L’annonce, scandée par une militante masquée, provoque les hourras de la trentaine de personnes présentes, jeudi matin devant le 8, rue Royaume, dans le quartier des Pâquis à Genève. Aux fenêtres du vétuste immeuble, des activistes cagoulés brandissent des fumigènes rose, bleu et vert. Le long de la façade, une imposante banderole a été déroulée sur les quatre étages: «Votre ruine sera notre royaume, logement pour toutes et tous».
Le choix de cet immeuble n’est pas anodin. En janvier 2021, il a été ravagé par un incendie, mettant au jour son occupation par une cinquantaine d’habitants précaires, pour la plupart sans statut légal. Ceux-ci sous-louaient des chambres à un locataire unique, payant des loyers particulièrement élevés malgré les fréquentes coupures de chauffage et d’eau courante. Soupçonnés d’avoir logé des personnes en situation illégale, les propriétaires de l’immeuble sont prévenus dans le cadre d’une enquête pénale menée par le Ministère public genevois pour «incitation au séjour illégal». Ils sont présumés innocents.
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Plainte déposée et intervention policière
Dénonçant la «spéculation immobilière», la «gentrification du quartier» et plus largement «la propriété privée», le nouveau «Collectif Rue Royaume» a investi la vingtaine d’appartements de l’immeuble laissés vide depuis l’incendie, souhaitant en faire «un lieu de vie collectif ouvert au quartier». «Dans un premier temps, nous voulons faire du logement pour les membres du collectif, puis dès ce week-end nous souhaitons discuter de la suite avec les acteurs du quartier», explique une militante portant une perruque, un masque et des lunettes de soleil. Vers 13 heures, peu après la conférence de presse tenue par le collectif, les forces de police ont enjoint au mégaphone les manifestants à déguerpir, indiquant qu’une plainte avait été déposée.
Joint par téléphone, l’administrateur de la société Burval SA (en liquidation depuis 1998), qui possède l’immeuble et ne souhaite pas être nommé, confirme avoir déposé une plainte pour violation de domicile et dégradation du bâtiment. Il déplore cette action qu’il juge «peu compréhensible» et demande de la patience: «Suite à l’incendie, il a fallu du temps pour obtenir un permis conforme. C’est chose faite depuis l’été dernier, quand nous avons reçu l’autorisation de rénover. Mais en ce moment, des ingénieurs effectuent des sondages en vue de l’installation d’un ascenseur. On comprend que ce soit frustrant de ne pas pouvoir attaquer le gros œuvre, mais la technique fait qu’il faut attendre. Nous espérons achever la rénovation d’ici neuf mois». L’administrateur ne souhaite en revanche pas commenter l’enquête pénale qui le vise.
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Vers 14 heures, la police a effectué une deuxième sommation dans la rue Royaume. En réaction, les activistes ont monté une barricade de fortune, à l’aide de conteneurs et de bâches. Cette barrière n’a pas tenu longtemps: une demi-heure plus tard, la brigade de sécurité a repoussé les activistes vers une rue adjacente. Vers 17 heures, les policiers ont délogé la totalité des occupants. «Vingt personnes ont été interpellées et conduites à l'hôtel de police, en raison de la plainte déposée à leur encontre», confirme Alexandre Brahier, porte-parole de la police genevoise.
Projet de loi pour lutter contre la spéculation
Hasard du calendrier, cette action coup de poing tombe le même jour où Rémy Pagani, ancien maire de Genève et député d’Ensemble à Gauche, dénonce la spéculation immobilière. Au moment où les militants prenaient leurs quartiers rue Royaume, l’élu tenait une conférence de presse au 16 Grand-Rue, devant un immeuble appartenant au même propriétaire controversé, où il est cette fois soupçonné d’avoir maintenu des conditions insalubres et entamé un chantier fantôme.
«Les autorités savent tout cela mais ne font rien, peste Rémy Pagani, joint par téléphone dans l’après-midi. Elles envoient de coûteux effectifs de police au lieu de convoquer le propriétaire, de réquisitionner les appartements ou de le forcer à faire les travaux». L’élu annonce déposer un projet de loi en ce sens: «Actuellement, le gouvernement peut exproprier temporairement un immeuble pour le rénover lui-même, mais il n’y est pas contraint. Ce projet de loi entend automatiser cette mesure, afin de mieux lutter contre ces abus manifestes du droit de propriété».
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Dans l'après-midi, le parti socialiste de la Ville a apporté son soutien au Collectif Rue Royaume. «Nous défendons l’achat de l’immeuble par la Ville afin qu’il puisse être remis en état et permette de loger de manière abordable et dans des conditions dignes», explique le parti dans un texte publié sur Facebook.