Vendredi matin, le député d’Ensemble à gauche (Liste d’union populaire) Jean Burgermeister s’est réveillé avec des bleus un peu partout sur le corps et une entaille bien visible sur le front. Habitué aux coups politiques, l’élu est moins coutumier de ceux infligés par la police. C’est pourtant ce qui lui est arrivé la veille, alors qu’il participait à une manifestation contre la spéculation immobilière.

Petit rappel des faits: le jeudi 9 février, une trentaine d’activistes ont investi l’immeuble sis au 8, rue Royaume, dans le quartier des Pâquis, afin d’en faire un «lieu de vie collectif». Ils souhaitaient dénoncer la spéculation immobilière et en particulier le propriétaire de l’immeuble, qui détient une vingtaine de bâtiments en Suisse romande, et qui est soupçonné d’être un «marchand de sommeil». Ce dernier est visé par une enquête du Ministère public genevois pour «incitation au séjour illégal». Rapidement, les forces de l’ordre sont intervenues et ont évacué les militants présents devant le bâtiment, puis ceux à l’intérieur. Vingt activistes ont été emmenés au poste.

Coups de matraque

Jean Burgermeister raconte: «J’étais là pour soutenir une action que je juge juste et légitime. Je vais voir la police pour essayer de discuter, ce qui est généralement plus simple en tant que député. A ce moment-là, les policiers repoussent tout le monde plus loin dans la rue, à plusieurs dizaines de mètres de l’immeuble en question. Trois agents me poussent puis commencent à me matraquer et à m’asséner des coups de pied. Je suis touché à la tête, aux jambes, dans le dos et à un bras. Je suis habitué à faire office de facilitateur entre des militants et la police, mais c’est la première fois que je subis cela.» L’élu s’est rendu dans une clinique pour vérifier qu’il n’avait pas de commotion.

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Steeve Iuncker, photographe pour la Tribune de Genève, a vécu une expérience similaire. «J’arrive au moment où la police demande aux manifestants de reculer. Je montre ma carte de presse, un agent la prend et la jette derrière le cordon policier, puis il porte un coup dans mon dos avec son tonfa [sorte de matraque qui se porte sous le bras, ndlr]. Ça m’a fait mal sur le moment, ça me fait encore mal maintenant, et ma carte de presse n’a toujours pas été retrouvée.» Le photographe, qui a notamment travaillé à Gaza, s’étonne de la «disproportion» des moyens engagés: «D’un côté, il y a des légumes et de la peinture, de l’autre des coups de matraque. Qu’est-ce que ce sera quand les activistes lanceront des cailloux?» s’interroge-t-il.

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A la suite de ce cas, l’ONG Reporters sans frontières (RSF) a envoyé un communiqué de presse dans lequel elle «condamne des gestes inadmissibles». «Ces coups de matraque sont inédits, c’est un pas qui est franchi et qui est inacceptable, tonne Denis Masmejan, secrétaire général de la section suisse de RSF. La police doit avoir des pratiques qui permettent aux journalistes, et particulièrement aux photographes, de documenter ce qui se passe, au plus près du réel.»

Enquête ouverte

Du côté de la police genevoise, son porte-parole, Alexandre Brahier, répond que lors de la manœuvre de dispersement la brigade de sécurité publique a «limité les moyens de contrainte» car elle n’a «pas utilisé de balles en caoutchouc ni de gaz lacrymogène». Il indique que «des dizaines de milliers de francs de dégâts» sont à déplorer à la suite des jets de peinture et de légumes sur les uniformes des policiers, qui ne seraient «plus utilisables». Il annonce qu’à la suite des témoignages du député et du photographe, une enquête a été ouverte auprès de l’Inspection générale des services (IGS), l’autorité de surveillance de la police, «afin de faire la lumière sur les événements qui se sont produits».

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«C’est toujours regrettable quand des coups doivent être donnés», réagit Mauro Poggia, conseiller d’Etat chargé de la Sécurité. Le magistrat assure ne pas avoir donné de consignes particulières pour cette intervention: «Quand une plainte pénale est déposée pour violation de domicile, la police a le devoir d’intervenir pour déloger les occupants. J’ai simplement été contacté avant l’intervention et ai donné mon aval pour que la police effectue son travail dans le cadre de ses directives. Il faudra regarder si l’usage de la force a été délibérément disproportionné, ce qui pourra être fait car l’intervention a été filmée. Si c’est le cas, des mesures seront prises.»