Voilà bientôt quinze ans que l’acronyme a fait irruption dans le débat politique genevois: PAV, pour Praille-Acacias-Vernets. Le plus gros projet urbanistique du canton, 230 hectares au cœur de Genève, accaparés en grande partie par des activités industrielles et dont la reconfiguration en logements et en bureaux devait projeter Genève dans le XXIe siècle.

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Au fil de l’évolution du discours politique, cet acronyme est devenu un mantra qui a désigné successivement Downtown Geneva, soit un centre financier pour la Genève du futur, un quartier exemplaire de la transition écologique ou encore un rendez-vous du high-tech. Et aujourd’hui, si les projets de lois, les référendums, les accords et leurs modifications successives ont occupé les élus, aucun clou n’a été planté dans ce périmètre. Mais ce dimanche, les Genevois pourront enfin se prononcer sur le PAV, le conseiller d’Etat en charge de l’aménagement, Antonio Hodgers, ayant eu le courage de soumettre l’ultime projet de loi au suffrage populaire.

Liberté à l’Etoile

La loi propose de modifier le rapport entre logements et emplois prévus dans le PAV. Le régime actuel – fruit d’un accord de 2010 entre le Conseil d’Etat, les villes de Genève, Carouge et Lancy, l’Asloca, les syndicats et le Parti socialiste, validé en 2011 par le Grand Conseil – fixe 10 500 logements pour autant d’emplois. En cas de oui dimanche, on passerait à 12 400 logements pour 6200 places de travail. Par ailleurs, cette modification autoriserait ce qui est aujourd’hui prohibé: la construction d’une portion congrue (12%) de propriétés par étage (PPE) sur du terrain en mains publiques, majoritairement dévolu au logement sous contrôle de l’Etat (62%). Enfin, elle autoriserait, dans le seul périmètre de l’Etoile, une liberté aux investisseurs privés.

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«La nouvelle loi réduit le nombre de logements sociaux au profit de la PPE. La gauche s’est fait violence pour l’accepter et c’est la droite qui la refuse! C’est le monde à l’envers.» Mark Muller, ancien conseiller d’Etat chargé du logement, résume bien le sel de la situation. La réapparition publique de l’ex-élu PLR ne simplifie d’ailleurs rien: ancien ministre de droite, il soutient le camp du oui (gauche, MCG, syndicats, associations d’entrepreneurs du secteur PAV). Des dissidents notoires l’accompagnent: les PLR Claude Haegi et Michel Balestra, le PDC Pierre-François Unger notamment. En revanche, PDC, PLR et UDC disent non. Dans ce charivari, un non de gauche est aussi apparu, porté par le Collectif d’associations d’habitants de quartier, pour lequel ériger de la PPE sur du terrain en mains étatiques tient de l’hérésie.

«Espèce de machin»

La droite parlementaire, appuyée par la Chambre genevoise immobilière (CGI), conteste le trop grand nombre de logements subventionnés. «Une trahison de la tradition genevoise qui garantit la mixité», tonne Pascal Pétroz, président de la CGI. Cette prépondérance mettrait en péril le financement de l’entier du PAV. La gauche ne cache pas que c’est pour cette raison que de la PPE a été introduite. Il est vrai qu’en comparaison avec d’autres projets d’envergure, le taux de logements sous contrôle de l’Etat, qu’il soit de 62% (calcul de la droite) ou de 49% (calcul de la gauche) reste élevé. Raison pour laquelle la droite propose de réintroduire un amendement PDC qui fixe une proportion de 24% de PPE.

Ce qui chiffonne le plus les opposants, c’est «cette espèce de machin qu’est la PPE en droit de superficie», pour citer Pascal Pétroz. Dans ce système, le propriétaire du terrain reste l’Etat, qui accorde pour une durée déterminée le droit à un particulier d’y résider. A la fin de cette période, si les autorités veulent le reprendre, il doit dédommager le particulier à la valeur intrinsèque du bien qu’il habite. Autrement dit, «l’acheteur» n’est jamais réellement propriétaire de son logement et aucune plus-value n’est possible pour lui dans cette opération.

Exotisme à la Jonction

Ce procédé est exotique à Genève. Il a tout de même été pratiqué, par exemple dans le quartier de la Jonction. Charly Seydoux, promoteur qui soutient le oui, a mené une opération immobilière de ce type. «Il a fallu expliquer aux clients qu’ils n’achetaient pas le terrain sur lequel ils habiteraient, admet-il. Mais au final, aucun n’a renoncé pour cette raison.»

Cette formule serait environ 20% moins cher que la propriété classique, selon l’entrepreneur. A la Jonction, se passer des fonds propres nécessaires à l’achat du terrain représentait une économie que la rente de superficie payée à l’Etat ne comblait pas. Les 4-pièces étaient proposés à moins de 600 000 francs. «Cette formule correspond à une demande à Genève», conclut Charly Seydoux. En face, on doute que les banques prêteront de l’argent dans ces opérations qui, au final, se révéleront plus coûteuses pour le particulier.

Voilà pour ce dimanche. Reste une question, centrale, que le vote ne tranchera pas. Afin de construire du logement, encore faut-il avoir accès au terrain, propriété de l’Etat. Or, il est actuellement occupé par 1600 entreprises, au bénéfice de droits de superficie qui courent sur des décennies. Ces sociétés ne déménageront que lorsqu’elles seront dédommagées.

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Officiellement, des négociations sont en cours avec les autorités. Antonio Hodgers voulait en confier la responsabilité à une fondation dont le Grand Conseil lui a refusé la création. La question est à nouveau à l’ordre du jour de la commission de l’aménagement.

Benoît Genecand, conseiller national PLR, fugace responsable du projet PAV et tenant du non, est pessimiste: «Il n’y a aucune visibilité sur la date et les conditions auxquelles ces entreprises sortiront du PAV. Pire: l’Etat ne dit rien sur comment il va financer ces opérations.»

Centre logistique aux Ports Francs

Le secteur de la Marbrerie, à la sortie du tunnel de Carouge, est un bon exemple de ce blocage. Présenté comme un périmètre modèle, il en est aujourd’hui au même point mort que les autres. Le bénéficiaire d’un droit de superficie refuse de bouger, confie un initié. «L’autorisation de construire est en cours d’instruction», répond Antonio Hodgers.

Toutes les entreprises ne devront pas s’exiler. Il sera possible de construire au-dessus de certaines. Une partie du PAV abritera des hôtels où l’activité industrielle s’empilera. Mais la proximité du rail et du centre-ville rend le secteur imbattable. Au point qu’il faudra investir pour inciter certains à se déplacer, ne serait-ce que de quelques centaines de mètres.

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A la rue Baylon, la société de déménagement de Michel Balestra bénéficie d’un droit de superficie jusqu’en 2060. «C’est une situation idéale, je n’ai pas du tout envie de bouger», dit celui qui est pourtant partisan du oui et qui appelle de ses vœux la construction d’un centre logistique à proximité des Ports Francs, entre rails et autoroute, pour reloger les sociétés comme la sienne.

«Il faut créer les conditions qui donnent envie aux entrepreneurs de revoir leur manière de faire, dit-il. Un oui ne résoudra pas tous les problèmes. Mais si l’on veut faire le PAV, il y a des contraintes dont on ne pourra pas faire abstraction.»