Il y a quelques jours, Genève a rétabli son honneur perdu. Pour la première fois depuis 1999, le canton n’est plus le champion suisse du taux de chômage le plus élevé. Avec 5,5%, il passe au deuxième rang, derrière Neuchâtel (5,8%) mais devant Vaud (4,7%). C’est toujours largement plus que la moyenne nationale de 3,5%, mais c’est encourageant.

Pour le conseiller d’Etat MCG Mauro Poggia, qui a fait de la priorité à l’embauche des chômeurs locaux, ou préférence cantonale, son cheval de bataille, c’est l’occasion de capitaliser: «On voit que cette mesure porte ses fruits, se félicite-t-il. Là où l’on peut la mesurer, on constate qu’elle fonctionne.» Et ce, malgré le fait qu’en 2016, le cap des 100 000 frontaliers a été franchi.

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Mise en place en 2012 pour les postes à l’Etat et à fin 2014 pour les institutions de droit public et entités subventionnées, cette directive oblige à annoncer un poste vacant à l’Office cantonal de l’emploi (OCE), lequel peut présenter au maximum cinq candidatures de chômeurs ou demandeurs d’emploi. A l’obligation de les auditionner s’ajoute une obligation de les engager à compétences égales.

L’Etat engage 70% de demandeurs d’emploi

La préférence aux chômeurs serait donc la planche de salut genevoise. Vraiment? Si on la soumet à l’épreuve des chiffres, rien n’est moins sûr. En 2015, sur la totalité des postes pourvus à l’Etat de Genève, 70% des personnes engagées étaient des demandeurs d’emploi. Une année plus tôt, cette proportion n’était que de 46%. Mais à y regarder de plus près, on constate qu’en chiffres absolus, cela représente à peu près le même nombre de demandeurs d’emploi engagés, 587 personnes sur 835 postes en 2015 et 573 sur 1245 en 2014. C’est donc une stagnation plus qu’une explosion.

Si Mauro Poggia admet que le chiffre est modeste, il ne voit pas les choses ainsi: «Bien que l’Etat ait créé un tiers de postes en moins en 2015, en raison des restrictions budgétaires, il engage toujours autant de demandeurs d’emploi. Il y a donc une progression, puisqu’il faut mettre en relation le nombre d’engagements avec le nombre de postes ouverts.» Ce d’autant qu’il faut encore y ajouter les personnes recrutées par les entités subventionnées, fait-il remarquer. Dont acte. L’an dernier, sur plus de deux mille postes annoncés, 65% ont été occupés par des demandeurs d’emploi. C’est moins qu’en 2014 (79%), et c’est la même chose qu’en 2012 (64%). Là non plus, la progression n’est pas manifeste.

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«Dans le privé, un climat de confiance s’instaure»

Et dans le secteur privé? Près de 15 000 postes ont trouvé preneurs parmi les demandeurs d’emploi, un chiffre en hausse comparé à l’année précédente (13 600). Mais impossible de dire si c’est à cause de l’augmentation de l’offre ou grâce à la directive, puisqu’il n’existe aucune obligation du privé de s’y conformer. «Je pense néanmoins qu’un climat de confiance s’instaure autour de la préférence à l’embauche, estime Mauro Poggia. Les mentalités changent, les entreprises sont davantage conscientes de leur responsabilité sociale. Il y a une inversion de tendance qui ne peut pas, pour l’heure, être objectivement mesurée.»

Mettons cette intuition au bénéfice du doute. Mais un document interne à l’OCE, que le Temps s’est procuré, n’appuie pas l’espoir du ministre. Il s’agit d’une statistique sur les motifs de désinscription du chômage global. Si la priorité à l’embauche des résidents déployait ses effets, il faudrait donc y lire une augmentation du pourcentage de demandeurs d’emplois placés par les offices régionaux de placement. Or, celui-ci oscille entre 7% et 12% durant ces deux dernières années. Son évolution n’est pas ascendante mais en dents de scie, avec des pics en début d’année et en septembre, périodes favorables au recrutement. Ce qui ne renforce pas la thèse du succès. Le pourcentage de gens ayant trouvé un emploi par leurs propres moyens varie, lui, entre 34% et 43% suivant les périodes.

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Interrogé sur ces chiffres, Mauro Poggia en minimise la portée: «Il s’agit d’un document de travail interne qui ne nous renseigne pas correctement, car la manière dont les conseillers en personnel remplissent ces différentes cases n’est pas fiable. Les pratiques sont variables.» C’est embarrassant. Unifier les procédures ne doit pas coûter cher.

Un effet d’annonce?

La priorité à l’embauche ne serait-elle alors qu’un effet d’annonce? Mauro Poggia rejette ce postulat avec la dernière énergie: «Ceux qui nous accusent de cela sont précisément ceux qui ne nous donnent pas les moyens d’avancer. Car nous n’avons aucune donnée du secteur privé, lequel engage davantage que l’Etat.»

Quoi qu’il en soit, on a beau tordre les chiffres en tous sens, difficile d’attribuer à la préférence cantonale le renoncement genevois à la première place du chômage en Suisse.