Le timing donne l’impression d’un dialogue de sourds. Ce mercredi, le Conseil d’Etat genevois a annoncé la prolongation de la fermeture des clubs jusqu’au 16 novembre. Le matin même, une centaine d’acteurs, boîtes de nuit, festivals ou DJ lui adressaient une lettre ouverte dans laquelle ils décrivent une «vie nocturne à bout de souffle» et réclament d’être enfin associés aux décisions des autorités.

La mesure est-elle proportionnée alors qu’il n’y a, pour l’heure, aucun patient aux soins intensifs? «Oui, répond Antonio Hodgers, président du Conseil d’Etat genevois. La fermeture des clubs a eu de réels effets positifs, le nombre de cas à Genève a baissé. On reste néanmoins à 35 cas par jour environ, ce qui est très élevé par rapport à la moyenne suisse.» Et le magistrat de rappeler qu’avant la fermeture, 40% des contaminations chez les jeunes étaient liées à la fréquentation de boîtes de nuit.

Réflexion sur des aides en cours

En guise de consolation, le gouvernement veut permettre aux clubs de fonctionner comme des bars ou d’organiser des soirées privées, estimant que les clients se «mélangent moins» à ces occasions. «Le Conseil d’Etat prend ses responsabilités par rapport à ce secteur durement touché, affirme Antonio Hodgers. Nous réfléchissons actuellement à des solutions d’indemnisation. La demande est entendue.» Depuis fin août, les acteurs culturels nocturnes n’ont plus droit à la réduction de l’horaire de travail (RHT). Une décision que regrette le conseiller d’Etat: «Berne ne nous a pas entendus sur ce point, ce qui nous pousse dans un dilemme entre intérêt sanitaire et intérêt économique.» Quant à la crainte d’une multiplication de fêtes sauvages et autres rave partys, elle ne s’est pas vérifiée, selon les dernières informations du gouvernement.

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Chez les principaux intéressés, la nouvelle est accueillie avec tristesse et désillusion. «On ne nie pas le risque sanitaire, affirme Virginie Morillo, artiste et gérante du club Chez Jean-Luc, situé en Vieille-Ville. Mais fermer les établissements nocturnes sans concertation ni aides, c’est condamner les acteurs culturels à l’agonie.» A ses yeux, la proposition d’ouvrir sous forme de bar risque de déstabiliser le public. «Notre lieu est connu comme une discothèque depuis les années 1970, on a déjà essayé de ne proposer qu’une offre de bar, ça ne fonctionne pas.» Le pire, à ses yeux, reste l’insécurité et la déprime qui guettent les artistes, plongés dans la précarité. «On se sent abandonnés, livrés à nous-mêmes, dénonce-t-elle. C’est toute la chaîne qui est touchée, des artistes aux imprimeurs en passant par les maisons de production.» Pour son équipe d’une quinzaine de personnes, les prochains salaires ne sont pas garantis: «Le moral des troupes est au plus bas.»

Un avenir menacé

Même constat morose chez Frédéric Post, gérant du Motel Campo et cofondateur du festival Mos Espa. Après cinq mois de fermeture, les comptes sont vides. «Si des mesures d’aide n’arrivent pas rapidement, on va définitivement couler», déplore-t-il, soulignant qu’il a déjà dû s’endetter et licencier plusieurs employés. Quant à la possibilité offerte par les autorités, il la juge incompatible avec l’activité du Motel. «C’est comme si vous étiez une pizzeria et qu’on vous demandait soudain de vendre des sushis, on ne peut pas se réinventer du jour au lendemain.» Le patron ne perçoit toutefois pas la fermeture comme un acharnement, mais plutôt comme une incompréhension du fonctionnement du milieu culturel alternatif. «En tant que club, on avait les moyens de tracer les clients, de filtrer les entrées à l’aide d’un QR code, notre service de sécurité est formé à cette tâche», détaille-t-il, déplorant que leur expertise n’ait pas été prise en compte. La lettre ouverte changera peut-être la donne.