Guérilla parlementaire
Dans les coulisses du parlement, les objets se sont multipliés depuis la mise en musique complexe de la loi sur la police (LPol) sans jamais aboutir à la contre-révolution voulue par les syndicats. Celui de la police uniformée (UPCP) et celui de la police judiciaire (SPJ), alliés dans cette protestation, ne s’avouent pas vaincus pour autant et continuent de dénoncer les dysfonctionnements et le découragement induits par la réforme. Parfois avec un sens certain de la dramatisation. «La police n’est pas malade, elle est mourante», explique ainsi le président de l’UPCP, Marc Baudat, alors qu’il est entendu par la Commission de contrôle de gestion.
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En février 2019, l’arrivée de Mauro Poggia à la tête de la Sécurité, ministre MCG, appelé encore «le parti de la police», redonne aux syndicats l’espoir de trouver une oreille attentive. Ils seront déçus, forcément, de découvrir que ce conseiller d’Etat n’entend pas tout chambouler sans prendre le temps d’analyser la situation. Marc Baudat résume ainsi ce sentiment: «Il n’y a eu que des discours et aucun acte.» Le magistrat est très occupé ailleurs, pandémie oblige, se montre peut-être trop confiant dans sa capacité d’apaisement, applique une méthode tranquille et n’anticipe pas le coup qui se prépare.
Ce coup prend appui sur un projet de loi qui mijote depuis un moment et vise à amender la réforme non sans y ajouter quelques nouveautés. En gros, la gendarmerie est ressuscitée en tant que corps à part entière sous un seul commandement et absorbe au passage la police de sécurité internationale alors que la police judiciaire voit sa spécificité affirmée. La référence à une organisation militaire est abandonnée. Enfin, la formation fait son entrée dans la loi dans l’idée de ramener l’Ecole de police à Genève et de recréer une filière spécifique pour les inspecteurs (alors que les aspirants sont actuellement formés à Savatan lors de leur première année et qu’une structure romande se dessine).
Tournant politique
Concocté par le député Jean Batou et ses camarades d’Ensemble à gauche, soutenu par le MCG et l’UDC, ce projet a vite rallié les Vert·e·s qui avaient pourtant soutenu la LPol et refusé jusqu’alors les propositions de modification. François Lefort, signataire du texte, s’en explique: «Le retour à l’ancien système n’est pas la solution idéale, mais le Conseil d’Etat n’a rien proposé de mieux pour régler les problèmes d’organisation, de matériel et de surcharge mentale dont souffrent les policiers.»
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Lors des travaux de commission, c’est la posture du Centre qui marque le vrai tournant. En 2017, sur un autre projet qui touchait aux grades, ce groupe estimait encore «que la loi actuelle lui convient très bien et que ces différents textes et amendements ne visent qu’à la saboter». Depuis lors, le député Vincent Maitre, qui savait tenir tête aux doléances policières, est parti siéger à Berne et son collègue de parti, Sébastien Desfayes, fait visiblement preuve d’une autre dynamique.
En prenant la présidence de cette Commission judiciaire et de la police en juin dernier, le député, qui refuse de s’exprimer avant le dépôt de son rapport de majorité, imprime un rythme soutenu. Un passage en force, histoire de s’assurer le soutien de cette corporation pour la candidature de Delphine Bachmann au Conseil d'Etat, diront certains. Une séance est agendée le 29 septembre avec vote final annoncé.
Cette séance sera précédée d’un long courrier explicatif des syndicats adressé à tous les groupes. L’autre long courrier de dernière minute, celui de Mauro Poggia, appelant ladite commission à ne pas voter ces propositions tout en amenant lui-même quelques modifications censées calmer les esprits, ne produit aucun effet. Pas plus que la demande d’entendre le procureur général Olivier Jornot, pourtant bien placé pour analyser la qualité du travail accompli et qui n’a pas été invité à s’exprimer. Sans doute de peur de l’entendre dire que ce n’est pas encore l’apocalypse, voire que les prestations sont même meilleures qu’avant.
Précipitation finale
«Le mot «police» revient 109 fois dans le Code de procédure pénale. Même si la loi est perfectible, la moindre des choses aurait été d’avoir l’avis du Ministère public. La police n’est pas un jouet et la sécurité de la population est un enjeu trop important pour faire des réformes à la hâte», relève Murat Julian Alder (PLR), qui a préféré quitter une séance qualifiée de mascarade. De toute façon, la messe était dite. Les demandes d’auditions sont considérées comme des manœuvres dilatoires et le texte est adopté par 11 voix pour et 2 voix PLR contre.
«C’est un signal politique fort car il y a vraiment quelque chose qui ne fonctionne pas avec cette loi. A un moment donné, le parlement doit aussi prendre ses responsabilités face à un conseiller d’Etat qui joue la montre et traite la commission avec légèreté», estime de son côté Jean Batou. A l’inverse, le député Pierre Conne (PLR), avoue sa lassitude face à un débat devenu dogmatique. «C’est une bonne loi, mais ses adversaires refusent de l’admettre. Je suis convaincu que des ajustements nécessaires peuvent être opérés sans modification de fond.» Il rédigera le rapport de minorité pour autant que son groupe veuille encore jouer au dernier des Mohicans dans cette histoire politiquement risquée. Même Pierre Maudet, lors de son grand retour sur Léman Bleu vendredi dernier, a confessé «une erreur d’appréciation du caractère identitaire fort de la gendarmerie». C’est dire.
«Décision purement électoraliste»
Héritier de cette patate chaude, désavoué sur ce dossier par son propre parti, auquel il ne tient visiblement pas rigueur, Mauro Poggia ne décolère pas contre une décision de la commission qualifiée de «purement électoraliste, incompréhensible et irresponsable». Aux yeux du ministre, les députés ont gobé, sans faire preuve d’aucun esprit critique, une sorte de conte syndical qui dit que tout était mieux avant. «Il y a eu des accords qui m’échappent et qui n’ont rien à voir avec un travail parlementaire ou avec l’intérêt public. La police n’a pas besoin de nouvelle révolution et surtout pas d’un retour en arrière. J’espère que le Grand Conseil comprendra que ce texte, accepté sur la base de critiques toutes générales et sans s’entourer d’éléments objectifs, n’est pas mûr pour être voté.»
Un délai très court ayant été fixé au 18 octobre pour le dépôt des rapports, ce brûlot, demande d’urgence à la clé, devrait débouler en plénière à la session de novembre. Michael Berker, vice-président du SPJ, se garde donc de crier victoire avant l’heure. Mais il ne boude pas pour autant ce succès d’étape. «Ce vote a été accueilli avec beaucoup de soulagement par tous les policiers, tous grades confondus, que j’ai pu croiser.» De quoi mettre encore un peu plus la pression sur le Grand Conseil.
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