A Genève, le trafic aérien a été interrompu par des activistes qui ont perturbé le salon de l’aviation privée
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AbonnéLes vols ont repris à Cointrin, après une heure d’interruption. Des militants pour le climat ont pénétré dans l’enceinte du plus grand salon européen de l’aviation privée qui ouvrait ses portes aujourd’hui. Ils se sont menottés à des jets avant de se faire déloger par la police

Sur le tarmac de l’aéroport de Genève, de luxueux jets privés valant plusieurs dizaines de millions de francs dorent au soleil. Au bout de leur escalier abaissé, des hôtesses en robe noire font le pied de grue à l’ombre, accueillant des professionnels du secteur vêtus de costumes sombres et de lunettes de soleil noires. En toile de fond, le décollage à intervalles réguliers d’avions de ligne, dans un grondement assourdissant, achève de planter le décor. Mardi matin, le salon EBACE, le plus grand événement consacré à l’aviation privée en Europe, a pris ses quartiers à Genève.
Mais la quiétude a été interrompue vers 11 h 30, quand une trentaine de militants climatiques se sont introduits dans le périmètre des avions exposés. Vêtus de gilets jaunes floqués du slogan «banprivatejets», ils ont escaladé une barrière, ralentis en vain par quelques policiers faisant usage de spray au poivre. Les activistes se sont ensuite menottés aux avions. «L’aviation privée est le pire moyen de transport et le plus inutile, elle n’a plus aucun sens!», crie Senni, une militante venue de Finlande spécifiquement pour l’événement.
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Interruption du trafic aérien
Des renforts policiers sont arrivés sur place 15 minutes plus tard. Cachant la scène en tendant des tapis de fortune, les agents ont délogé les activistes, ôtant leurs menottes pour leur en poser d’autres et les emmener ensuite au poste. Entre 11 h 40 et 12 h 40, le trafic de l’aéroport de Genève a été interrompu. Pendant près d’une heure et demie, les visiteurs et exposants ont été bloqués sur tarmac par la sécurité de l’aéroport, qui a également suspendu le service de navettes entre l’espace d’exposition des avions et Palexpo, où se tient le reste de la manifestation.
La police indique par sa porte-parole Tiffany Cudré-Mauroux avoir intercepté «environ 80 activistes, qui seront prochainement mis à disposition du Ministère public». Du côté de l’Aéroport de Genève, son porte-parole Ignace Jeannerat indique que les manifestants ont pénétré l’enceinte par trois endroits différents de façon simultanée. Il annonce en outre que «Genève Aéroport déposera plainte, comme l’ont annoncé également les organisateurs de EBACE et plusieurs exposants sur le tarmac». Parmi eux, le constructeur Pilatus, dont un avion aurait été endommagé, a appris «Le Temps».
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«C’est une forme de protestation complètement inacceptable», a réagi dans l’après-midi Ed Bolen, président de la National Business Aviation Association (NBAA), coorganisatrice de l’événement. «La perturbation d’aujourd’hui ne tient pas compte du fait que l’aviation d’affaires est profondément engagée dans l’action climatique. […] le secteur se concentre collectivement sur la réalisation d’émissions nettes nulles d’ici à 2050», poursuit Ed Bolen, appelant à un «dialogue constructif» sur la durabilité.
«Opération de Greenwashing»
L’action a été revendiquée par les organisations environnementales Greenpeace, Extinction Rebellion, Stay Grounded et Scientists Rebellion, qui affirment qu'«une centaine de militants provenant de 17 pays» ont participé à l’action, et n'avoir «pas prévu de perturber le trafic aérien commercial». Pour ces organisations, l’événement, qui a pour thème cette année la durabilité, est une «opération de Greenwashing». «Au lieu de discuter de l’empreinte carbone excessive de l’aviation privée, les organisateurs évoquent des demi-mesures comme l’élimination des boissons jetables, l’utilisation de transports électriques dans le périmètre des aéroports ou des promesses technologiques hypothétiques», critique dans une prise de position envoyée aux médias Stay Grounded («Rester sur Terre» dans sa version francophone), un réseau citoyen mondial fondé en 2016, comptant 200 organisations membres et prônant une réduction du trafic aérien.
Les militants rejettent en bloc les promesses de l’industrie aérienne, notamment celles de carburants dits durables. «Les carburants à base de biomasse ou de déchets ne sont pas durables ou ne sont pas disponibles en quantités suffisantes pour faire la différence dans la décarbonisation de l’aviation», estime Stay Grounded, rappelant que d’ici 2040, dans le meilleur des scénarios esquissés par l’Agence internationale pour l’énergie (IEA), seuls 19% des carburants aériens pourront être durables, contre 81% à base de fossile. «Le secteur ne dispose pas des stratégies à court terme nécessaires pour réduire l’impact de l’aviation sur le climat conformément aux objectifs climatiques de Paris au cours des huit prochaines années», conclut l’organisation.
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Succès de l’aviation privée
En fin de journée, une manifestation organisée par plusieurs associations écologistes ainsi que les Vert·e·s et les jeunes socialistes genevois a réuni devant Palexpo environ 150 participants, venus à vélo depuis la gare de Cornavin. «L’aviation privée est une bombe pour le climat que l’on doit désamorcer au plus vite», a dénoncé la conseillère nationale Verte Isabelle Pasquier-Eichenberger, annonçant le dépôt par son parti en juin d’un «bouquet de textes sur l’imposition du carburant aérien». «Les promesses de l’industrie aérienne sont des bôbards, aucune alternative viable ne sera au point dans les temps», a renchéri Julia Steinberger, autrice principale du GIEC.
Cette action coup de poing intervient alors que les jets privés connaissent un succès grandissant. Dans un rapport récemment publié, le think tank américain Institute for Policy Studies estime que le nombre de jets privés et d’affaires a plus que doublé dans le monde au cours des 20 dernières années. La Suisse n’échappe pas à cette tendance: selon une étude de Greenpeace, plus de 100 avions privés ont décollé en Suisse chaque jour en 2022, ce qui classe le pays au sixième rang européen, et même au premier rang selon le classement par habitant.
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