Covid
En pleine crise sanitaire, un député de Haute-Savoie dénonce des cliniques suisses qui débaucheraient en France du personnel soignant

Martial Saddier, homme d’ordinaire plutôt pondéré, ne contient plus sa colère. Le député de la 3e circonscription de Haute-Savoie, qui se présente volontiers comme l’un des bâtisseurs du Grand Genève, fulmine contre ses voisins suisses: «Le comportement de certains responsables d’établissements hospitaliers est totalement inacceptable dans le contexte de la crise sanitaire.» Dans son viseur, plusieurs cliniques privées genevoises qui, assure-t-il, débauchent des infirmières françaises. «Une centaine sont parties depuis six mois. Ces trois dernières semaines, cinq infirmières, deux aides-soignantes et une sage-femme ont quitté leur poste à l’Hôpital privé Pays de Savoie (HPPS) à Annemasse et ont rejoint les cliniques de la Colline et des Grangettes à Genève», indique-t-il.
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Le phénomène n’est pas nouveau car le canton est hautement attractif pour les soignants français, avec notamment des salaires deux fois et demi supérieurs. Aux HUG, 60% du personnel infirmier habite en France (environ 3200 collaborateurs sur 5200 soignants). Pour le parlementaire, ces recrutements n’ont plus lieu d’être en pleine pandémie. «Si le nombre de contaminés est régulièrement apocalyptique à Genève, la Haute-Savoie n’est pas épargnée non plus, avec des taux parmi les plus élevés de France. Nous avons besoin de toutes nos forces vives», soutient-il.
Moratoire pour le public
Avant la crise, les hôpitaux haut-savoyards déploraient déjà une situation de sous-effectif, à l’image du reste de la France. «La pénurie de soignants se fait désormais sentir de manière cruciale car la prise en charge des patients covid est particulièrement lourde. Nous avons pu faire face en déprogrammant certaines interventions chirurgicales en accord avec l’Agence régionale de santé», explique Olivier Teissèdre, le directeur de l’HPPS. Il poursuit: «Avant la première vague du covid, 350 soignants ont été recrutés sur Genève pour assurer des sureffectifs, ce qui nous a placés en grande difficulté. Aujourd’hui, je viens de perdre 4% de mon personnel et j’ai dû fermer un service de nuit.»
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Martial Saddier rebondit: «Lorsque l’on m’a dit qu’une clinique genevoise avait publié une annonce dans le Dauphiné libéré vantant les bonnes conditions de travail en Suisse et les salaires alléchants, j’ai dit: ça suffit!» Olivier Teissèdre confirme par ailleurs avoir vu passer cet encart. Martial Saddier a aussitôt joint Christian Dupessey, le maire d’Annemasse, et tous deux ont pris contact avec Mauro Poggia, le conseiller d’Etat genevois chargé de la Santé.
Au début de la crise, un accord a été passé avec les autorités genevoises, un moratoire, dit le député français, pour qu’il n’y ait pas de débauchage de personnel, mais cet engagement ne concernait que les seuls établissements publics. «M. Poggia ne semblait pas au courant de ces mouvements vers la Suisse visant les établissements privés. Il a jugé cela inapproprié mais nous a dit ne pas pouvoir interdire quoi que ce soit dans le secteur privé», a déclaré Christian Dupessey à l’hebdomadaire haut-savoyard Le Messager. Olivier Teissèdre précise de son côté: «Les HUG ont été et sont, quant à eux, d’une honnêteté totale.»
Laurent Paoliello, qui dirige la communication du département de M. Poggia, souligne: «Nous n’avons pas, il est vrai, à juger la politique de recrutement des cliniques privées. Il reste que nous estimerions mal venu et déplacé d’aller piller le bassin d’à côté, surtout dans le contexte de pandémie. Nous avons une collaboration étroite et quotidienne avec les départements voisins, nous œuvrons main dans la main. Il y va de notre intérêt d’œuvrer ensemble pour surmonter la crise.»
Démenti genevois
Les cliniques genevoises incriminées démentent avoir passé des annonces dans la presse haut-savoyarde. Magali Dauwalder, qui gère la communication pour la partie romande du groupe Hirslanden (La Colline et les Grangettes, 900 collaborateurs en tout), précise: «Nous ne publions des annonces de recrutement que sur notre site, sur Jobup.ch ainsi que sur les réseaux sociaux. Les recrutements se font sur la base d’offres spontanées de la part du personnel soignant.»
Par ailleurs, Gilles Rufenacht, le directeur du groupe Hirslanden, a pris contact avec le député Martial Saddier afin de clarifier les choses et apaiser les tensions. Comment sait-on en France que les employés démissionnaires sont partis en Suisse? «Nous les recevons afin de connaître les raisons de leur choix et en tirer donc tous les enseignements pour tenter à l’avenir de les conserver», répond Olivier Teissèdre.
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Mais l’on n’en démord pas en France voisine: la pression exercée par Genève sur le vivier français est demeurée forte durant cette deuxième vague. Car pour laisser place aux malades du covid et assurer la continuité des soins, les HUG ont transféré des patients vers les cliniques privées (158 du 1er novembre au 7 décembre) et, chaque semaine, 125 interventions chirurgicales sont réalisées en clinique privée par des praticiens des HUG. Des soignants ont été eux aussi détachés mais leur nombre est limité. Dans ce contexte exceptionnel, le secteur privé doit recruter.
Une prime comme à Paris?
Même cas de figure en France voisine. Au début de la deuxième vague, l’HPSS a mis en place un partenariat avec le centre hospitalier public Alpes-Léman, situé entre Annemasse et Bonneville, pour accueillir des patients. «Mais nous n’avons plus le personnel suffisant pour maintenir ce partenariat car il y a trop de mouvements de personnel vers la Suisse», déplore Olivier Teissèdre.
Martial Saddier souhaite que Genève forme plus d’infirmières pour satisfaire ses propres besoins en soignants. Mauro Poggia a émis le même vœu. Une école binationale devait ouvrir à Ambilly, sur la frontière, mais le projet n’a pas abouti, ce que le député de Haute-Savoie regrette profondément. Il se tourne maintenant vers Paris. Il va relancer l’idée d’une prime à la vie chère comme celle dont bénéficient les personnes actives dans la capitale et sa couronne. «Le coût de la vie en Haute-Savoie et dans le Pays de Gex est parmi les plus élevés de France du fait de la proximité de la Suisse. Ce genre de prime est un moyen de fixer les travailleurs salariés.»
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