Le droit est décidément tordu. On a beau avoir un même texte, il y aura toujours autant d’avis que de juristes. Vendredi, le Département genevois de l’économie et de l’emploi (DEE) annonçait avoir rendu une décision mettant Uber «en conformité avec la loi pour le passé», réglant à hauteur d’environ 20 millions de francs les obligations découlant de son statut d’employeur. Il s’agit de la conséquence de l’arrêt du Tribunal fédéral qui, voici cinq mois, confirmait que les chauffeurs de la plateforme étaient des salariés et non des indépendants.

Dans la foulée, la plateforme expliquait dans un communiqué devoir s’acquitter de… 15,3 millions de francs. Ce montant comprend la part «employé» des charges sociales, soit 10,7 millions à verser aux assurances sociales, et une indemnité kilométrique en faveur des chauffeurs de 4,6 millions. Nulle trace en revanche des 5 millions restants. L’Etat a-t-il pris ses désirs pour une réalité ou le géant californien conteste-t-il un élément de la décision?

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Sollicité par Le Temps, Uber, qui confie sa communication au Cabinet privé de conseils, une agence locale de lobbying, précise que «tout autre paiement évoqué par l’Etat de Genève dans leur (sic) communication et concernant la part «employeur» de ces cotisations de sécurité sociale ne fait pas partie de cette décision». Cela ferait l’objet de «discussions en cours» avec les instances concernées. En clair, la décision rendue par le service de police du commerce, contre laquelle Uber peut d’ailleurs recourir, l’oblige à payer d’ici au 31 décembre les cotisations, et d’ici au 31 mars, les indemnités aux chauffeurs, mais pas davantage. Pour le reste, la firme indique que les montants liés à la prévoyance professionnelle (part employé et employeur) ainsi qu’à la part employeur de l’AVS sont actuellement discutés à un niveau fédéral.

De son côté, l’Etat de Genève ne fait pas la même lecture. La porte-parole du DEE, Esther Mamarbachi, se réfère à un paragraphe de la décision indiquant que la somme de 10,7 millions constitue un acompte, étant donné que l’inspection du travail a évalué les cotisations sociales dues dans une fourchette comprise entre 15,4 et 16,2 millions. Montant auquel s’ajoute l’indemnité et qui permet aux autorités d’élever la note à «environ» 20 millions de francs. Au total, le DEE calcule qu’en comptant les cotisations employeur, le diffuseur de courses devra s’acquitter de 35,4 millions. Selon un décompte de l’agence Reuters, il s’agirait de la plus importante somme payée par le diffuseur de courses, aux prises avec les autorités dans des pays comme les Etats-Unis, l’Autriche ou l’Inde.

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La question du siège

Comme l’a précisé la conseillère d’Etat Fabienne Fischer, qui espère que la décision rendue «contribuera à la régulation des économies de plateforme en Suisse, l’Etat poursuit son examen du modèle économique développé par Uber à la suite de l’arrêt du Tribunal fédéral. En juin dernier, la firme a transféré 800 contrats de travail à une société de portage salarial MITC Mobility. Néanmoins, l’interdiction d’exercer qui avait frappé Uber a été suspendue provisoirement.

Ce qui a fortement courroucé les milieux professionnels du taxi. Estimant que l’Etat de Genève a «plié devant la toute-puissance de la multinationale», ils ont relevé, par le biais de leur avocat, Jacques Roulet, que cette décision viole la loi sur les taxis et les véhicules de transport avec chauffeur (VTC). Entrée en vigueur le 1er novembre, cette loi prévoit que l’autorisation d’exercer n’est donnée à une société que si elle est «à jour avec le paiement des cotisations sociales qui lui incombent». Cependant, l’Etat rappelle que les entreprises qui étaient, comme Uber, au bénéfice d’une autorisation sous l’ancienne loi disposent de six mois pour s’y adapter. Dans ce même intervalle, Uber devra aussi constituer un siège en Suisse pour exercer, puisque son domicile actuel se trouve aux Pays-Bas.

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