Genève joue à colin-maillard. En pleine crise sanitaire, économique, sociale et politique, la République se prépare à une élection complémentaire au Conseil d’Etat dont les maîtres-mots sont, pour l’heure, ouverture, incertitude et cécité.

Le ministre indépendant Pierre Maudet a surpris son monde en présentant sa démission après avoir été privé par le Conseil d’Etat de son département à la suite d’un rapport intermédiaire alarmant sur son management. Candidat à sa succession, il joue son va-tout, obligeant le PLR, dont il a été exclu, à se mobiliser. Désormais en campagne et sans cravate, il réussit ce faisant à dicter l’agenda politique, dernier pied de nez avant les choses sérieuses, son procès. Si ses chances paraissent faibles, reste à savoir ce qu’il mangera à son ancien parti.

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Malgré l’infortune qui le plombe, le PLR entrevoit une lueur d’espoir: le PDC pourrait en effet passer son tour. C’est tout au moins la stratégie que sa présidente va présenter au comité directeur, lundi. Car le parti nourrit plutôt des ambitions pour 2023, visant deux sièges et escomptant une liste de l’Entente à quatre. Sans préparation ni réelle perspective de l’emporter en mars prochain, céder le pas ne lui coûte pas outre mesure.

En outre, le PDC veut contribuer à préserver la majorité de droite au gouvernement: «Il faut que la droite joue collectif et qu’elle puisse soutenir un candidat PLR, estime Delphine Bachmann, présidente du PDC. Pour autant que ce candidat soit capable de rassembler et de défendre la mission de relancer l’économie, de manière collégiale, avec des valeurs du centre droit.» L’élue promet: «Si c’est le cas, alors on fera une vraie campagne.»

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De son côté, le MCG ne devrait présenter personne. L’UDC en revanche, oui: «Nous sommes plutôt partants sur le principe, pour autant que l’assemblée générale valide cette stratégie, déclare Céline Amaudruz, présidente de l’UDC Genève et conseillère nationale. Car la situation catastrophique de Genève est due aux partis en place depuis de nombreuses années.» Si le PLR ne veut pas se prendre l’UDC dans les dents, il ne lui resterait qu’à lui proposer un apparentement aux élections législatives de 2023, ce qu’il ne sera sans doute pas prêt à faire. Quant aux vert’libéraux, pourtant absents du Grand Conseil, leur tentation est de pousser leur machine à gagner, le conseiller national Michel Matter. Celui-ci n’exclut rien, même si sa préférence va aussi à 2023.

«Il nous faut quelqu’un capable d’affronter la tempête, avec du sang-froid, du courage, qui ne sacrifie pas tout à la crise actuelle»

Bertrand Reich, président du PLR genevois

Avec une droite divisée, tout repose donc sur la force de persuasion du candidat pour sauver le siège. Mais encore faut-il que le PLR en ait un! Les papables, pour l’heure, renoncent les uns après les autres. Cela n’empêche pas son président, Bertrand Reich, d’espérer: «Il nous faut quelqu’un capable d’affronter la tempête, avec du sang-froid, du courage, qui ne sacrifie pas tout à la crise actuelle mais permette à demain d’exister.» On ajoute à ce portrait-robot idéal un certain esprit de sacrifice et de la résilience en cas d’échec. Car pour se lancer à l’impromptu dans une campagne atypique, covid oblige, et face à un Pierre Maudet qui n’a plus rien à perdre, mieux vaut avoir le cuir épais. Le pire cauchemar, pour le PLR, étant que son candidat cavale derrière Pierre Maudet.

«Ce qui compte, c’est un candidat unique de gauche»

Tout ceci ouvre un boulevard à la gauche. Elle piaffe, le vent dans les voiles depuis les élections municipales et les dernières votations – comme l’acceptation du salaire minimum –, et rêve de faire basculer la majorité au Conseil d’Etat. Dans une configuration symétrique à celle de la droite, le PS laisse l’avantage aux Verts, légitimés à revendiquer un second siège au vu de leurs récents succès. «Vouloir trois conseillers d’Etat serait exagéré, raison pour laquelle nous avons décidé de ne pas lancer de candidat socialiste, confirme le coprésident du PS genevois, Romain de Sainte Marie. Ce qui compte, c’est un candidat unique de gauche.»

Une candidate plus exactement, et c’est ici que l’affaire se corse. La conseillère aux Etats Lisa Mazzone ayant décliné, on peine à trouver des personnalités connues, solides et charpentées. Ce problème n’est pas de nature à décourager Delphine Klopfenstein, présidente du parti genevois et conseillère nationale, qui peut déjà compter sur les candidatures de la députée Marjorie de Chastonay et de la maire d’Onex, Maryam Yunus Ebener, à défaut de vouloir elle-même se lancer: «Je ne doute pas que nous aurons beaucoup d’autres candidats, y compris des personnes très impliquées dans le parti.» Il va falloir que les Verts y croient très fort, parce qu’ils ne peuvent pas se permettre de considérer cette élection complémentaire comme un tour de chauffe. Pour eux, il est l’heure du deuxième siège et le changement de majorité repose sur leurs épaules.

C’est avec cet argument que leur présidente va tenter de convaincre Ensemble à gauche de s’effacer. A priori, il en faudra plus pour convaincre cette formation, dure en affaires, et qui considère que la politique actuelle des ministres de gauche a tout d’une politique de droite. Si Ensemble à gauche n’a pas encore tranché, tout porte à croire qu’il fera cavalier seul. Dans l’épais brouillard tombé sur Genève, la fatalité pourrait l’emporter sur les stratégies en mars prochain.