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Le Grand Conseil pulvérise l’organisation de la police genevoise

A une très large majorité, les députés ont voté le retour à l’ancienne structure des forces de l’ordre et décidé de rapatrier l’ensemble de la formation dans le canton. Les syndicats de police peuvent savourer leur victoire

L'entrée du poste de police des Pâquis, photographiée le jeudi 28 avril 2022 à Genève. — © MARTIAL TREZZINI / KEYSTONE
L'entrée du poste de police des Pâquis, photographiée le jeudi 28 avril 2022 à Genève. — © MARTIAL TREZZINI / KEYSTONE

Un énième acte de la loi sur la police (LPol), sorte de pièce dramatique sans fin, s’est joué ce jeudi soir devant le Grand Conseil genevois. Huit ans après l’adoption de la mouture originale et sa validation ultérieure par le peuple, dans une ambiance toujours aussi électrique, une très large majorité des députés a décidé de modifier l’organisation, la gouvernance et la formation des forces de l’ordre. Au grand dam du ministre de la Sécurité, Mauro Poggia, et du PLR, seul parti à dénoncer «le travail bâclé» de la commission chargée d’étudier ce projet de rétropédalage et à demander (en vain) de remettre l’ouvrage sur le métier.

L’essentiel du projet, porté au départ par Ensemble à Gauche et le MCG, élaboré en concertation avec des syndicats de police très actifs et toujours très remontés contre la «loi Maudet», vise à revenir plus ou moins à l’ancienne organisation. Ceci en supprimant les différents services de police – de proximité, secours, routière, internationale – afin de ressusciter la grande gendarmerie pour tous ceux qui portent l’uniforme et de laisser la police judiciaire (les inspecteurs en civil) vivre sa vie. Dans ce nouveau schéma, la direction des opérations, chargée de coordonner le travail et de faire office d’échelon intermédiaire entre la commandante et les chefs de corps, est tout bonnement supprimée. La formation, autre sujet très controversé, est ramenée dans sa totalité à Genève et, elle aussi, divisée en deux filières distinctes.

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«Corriger les défauts»

Le rapport de majorité, sous la plume de la socialiste Xhevrie Osmani, évoque le projet de loi «de loin le plus abouti soumis à l’étude durant cette législature». Celle-ci estime que les auditions ont mis en évidence une dégradation des conditions de travail des agents en uniforme, une perte d’attractivité de la fonction ainsi qu’une perte du sens des missions qui affecte le moral des troupes. «Ce n’est pas un retour en arrière mais une manière de corriger ce qui ne va pas», ajoute la députée.

Pour parvenir à cette conclusion, la commission a beaucoup écouté et entendu les syndicats. Celui de la police judiciaire a été de loin le plus énergique pour dénoncer «le dogme absurde du policier unique», la formation à Savatan «qui façonne dans un moule grossier et en décalage avec les réalités du terrain», les effets pervers de silos hermétiques et concurrents, la nécessité de laisser les inspecteurs se concentrer sur leurs enquêtes sans les envoyer faire un travail indigne de leurs compétences pointues (par exemple auditionner des fauteurs de troubles lors des matchs de foot).

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Ce même syndicat a accusé la direction de la police de «travestir la réalité» pour maintenir des sortes de privilèges liés à la LPol et a reproché au ministre de donner trop de poids à l’analyse de la hiérarchie.

Manque de sérieux

Face à cette déferlante de griefs, le discours plus technique du Département et de la direction de la police – visant à contester plusieurs critiques, relativiser certains problèmes ou démontrer que ceux-ci n’ont juste rien à voir avec cette loi – a eu plus de mal à s’imposer dans un contexte déjà hostile. Lors des auditions, la commandante Monica Bonfanti a eu beau souligner que 400 policiers engagés depuis 2014 n’ont pas connu l’ancien régime de la gendarmerie, ou Mauro Poggia vanter les mérites d’une formation intercantonale et mixte afin de ne pas favoriser la «mentalité élitiste» de la police judiciaire, rien n’y a fait.

Avec son rapport de minorité, Pierre Conne (PLR), relève d’ailleurs les dangers de cette sorte de dialogue de sourds avec des positions totalement antagonistes et des députés forcément largués. Il souligne que huit séances de commission (et non pas 22 comme allégué) ont en réalité été consacrées à ce projet (dont cinq à entendre les syndicats ou analyser leurs courriers) et rappelle que ni le procureur général, ni les chefs des services opérationnels concernés n’ont été consultés. Bref, il explique que tout ça n’est pas très sérieux, appelle les députés à ne pas faire le jeu de querelles internes et demande le renvoi pour finir le travail.

«Supprimer la direction des opérations serait une véritable catastrophe pour la police», conclut Pierre Conne en évoquant une perte de la capacité de coordination, de pilotage et de contrôle démocratique de cette police. Son collègue de parti, Murat Julian Alder complétera: «On ne comprend pas l’empressement de voter cette loi sauf à y voir une manœuvre électoraliste et clientéliste procédant d’un grave mépris de nos institutions.»

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«Revenir à la simplicité»

C’est au tour de Sébastien Desfayes (Le Centre) de s’approprier les clichés qui collent à ce débat. «Armée mexicaine», «bureaucratie», «rond-de-cuir», le député estime qu’il faut être dans le déni pour ne pas voir que l’organisation actuelle est bien pire qu’avant. En résumé, «il faut revenir à la simplicité». Ce dernier se dit enfin «très fier» du travail de la commission et estime qu’il ne sert à rien d’entendre le parquet car ce projet n’aura de toute façon «aucun impact sur le travail de la police judiciaire». A se demander pourquoi son syndicat s’est tellement démené.

Le parti socialiste, l’UDC, Ensemble à gauche, tous sont d’accord pour changer les choses. Jean Batou concède une période transitoire de deux ans pour rapatrier la formation à Genève, histoire d’organiser les choses, et le Vert François Lefort veut bien accepter trois des onze amendements déposés à la dernière minute par Mauro Poggia. Enfin, François Baertschi (MCG), sur le thème «on vous l’avait bien dit», rappelle que son parti a toujours été opposé à cette loi «gadget» qui a fait faillite.

«Un peloton d’exécution». C’est ainsi que le conseiller d’Etat qualifie la manière avec laquelle la commission a traité le sujet. Mauro Poggia appuie un renvoi en commission, qui sera refusé par 69 voix contre 27 et 1 abstention. Dans ces conditions, et faute d’être suffisamment renseigné sur le projet, Yvan Zweifel annonce que le groupe PLR va s’abstenir.

Dernière carte

Voici venu le moment pour le ministre de tenter de sauver quelques meubles. Il a deux fois sept minutes pour y parvenir. «La loi n’a pas généré tous les problèmes et quand j’entends un député dire que c’est à cause de cette loi qu’un policier éméchéa tiré avec son arme dans une poubelle, c’est au-delà du raisonnable», s’énerve Mauro Poggia. «Vous avez tellement peur d’entendre un autre son de cloche que vous avez écarté des auditions essentielles», ajoute-t-il tout en demandant de nouveau un renvoi en commission. C’est encore refusé avec le même nombre de voix.

Très peu d’amendements du Conseil d’Etat passent finalement la rampe (et notamment pas celui visant à préserver un concept de formation romande). Une formule par-ci pour ajouter les prérogatives répressives de la gendarmerie, un service d’état-major par-là pour compléter les services d’appui. La nouvelle loi est acceptée par 68 oui contre 6 non et 19 abstentions. Les modifications (hormis celles relatives à la formation qui prendront effet en 2025) doivent entrer en vigueur au plus tard le 1er juin 2023, selon un ultime amendement d’Ensemble à gauche.

Un sacré défi pour la direction de la police qui devra affronter ce nouveau casse-tête après une décennie de réorganisation. Sauf si Mauro Poggia joue une dernière carte pour convaincre le Conseil d’Etat de représenter ce projet au parlement avant de promulguer la loi, et dans un délai de six mois, afin de proposer une alternative plus douce. Mais rien ne dit que le gouvernement suivra cette stratégie ou que de nouveaux débats changeraient la donne.

Sur le vote de l’époque: Genève adopte une loi pour moderniser sa police