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Mise à l’écart
Il avait toujours dit qu’il tiendrait jusqu’à la fin de la législature, mais la fidélité a des limites. Très contesté parmi les hauts gradés de Champ-Dollon, qui avaient déjà poussé à la démission de leur directeur Martin von Muralt en septembre 2021 (lequel rebondira en devenant le nouveau délégué du Réseau national de sécurité), Philippe Bertschy, 59 ans, était depuis longtemps dans le viseur de ces rétifs au changement.
Soutenu par le conseiller d’Etat, mais pas trop, il avait finalement été sorti du comité de pilotage chargé de jeter un sort à la réforme baptisée «Ambition» et de concocter ce nouveau projet d’organisation interne plus consensuel dont les grandes lignes seront bientôt connues. Cette concession du politique, en forme de désaveu pour Philippe Bertschy, visait surtout à faire baisser la tension chez les mutins de la grande prison qui ne voulaient pas de ce directeur général à la table de réflexion. Difficile sans doute pour ce dernier d’accompagner désormais un concept auquel il n’a pas été directement associé.
Contacté, Mauro Poggia reconnaît la difficulté du poste: «Etre à la tête de l’Office de la détention est une tâche ingrate, car les critiques fusent aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur, quoi qu’on fasse. Philippe Bertschy n’y a pas échappé, mais il a su garder le cap, et assumer les responsabilités de la fonction, de surcroît avec des structures insuffisantes et vieillissantes durant une période de nécessaires réformes.»
Vieilles rancunes
Philippe Bertschy a accompli l’essentiel de sa carrière au sein de la police judiciaire genevoise avant d’être nommé à la tête de cet office en 2015 par Pierre Maudet, alors chargé de la Sécurité, pour mettre en musique une vaste planification et chambouler la gouvernance dans l’univers ultra-sensible de la détention. Le style du nouveau venu fait tout de suite des vagues.
Perçu comme un supérieur intransigeant, cassant, obsédé par le contrôle et la hiérarchie, il s’entend très mal avec Constantin Franziskakis, alors directeur de Champ-Dollon. Un conflit ouvert qui mènera au départ de ce dernier en 2017 (finalement récupéré par la police) et qui nourrira une rancune tenace envers le grand patron. Certains gardiens et autres fidèles du baron déchu de l’établissement en voudront toujours à Philippe Bertschy et le feront savoir.
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Après avoir réussi à froisser son monde, le directeur général parvient tout de même à se maintenir, à résister à l’adversité, à supporter les exigences et la pression du politique, à élaborerun conceptpour mieux s’occuper des détenus en collaboration avec le Service de probation et d’insertion, et surtout à bien gérer la crise du Covid malgré la surpopulation chronique de Champ-Dollon.
Nombreux chantiers
Investir davantage d’énergie dans la resocialisation des détenus, tout en mettant fin au paradigme du gardien tournant, c’était aussi un des axes du projet Ambition qui a déjà perdu son nom et sans doute beaucoup de sa substance. La personne qui prendra la tête de cet office aura la tâche difficile d’accompagner ces nouveaux changements et de calmer les colères. Celle des éducateurs du centre pour mineurs de La Clairière s’exprime fortement ces derniers mois par des grèves à répétition.
En prenant ses fonctions, Philippe Bertschy avait évoqué la phrase de Winston Churchill qui veut «qu’un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté». Il en faut une sacrée dose pour se frotter à l’univers carcéral genevois.
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