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Le grand patron des prisons genevoises démissionne

Philippe Bertschy, directeur général de l’Office cantonal de la détention, a annoncé son départ pour fin février. Cette démission intervient alors que le domaine carcéral, toujours en crise, va affronter un nouveau chamboulement

Philippe Bertschy, directeur général de l'Office cantonal de la détention, photographié en janvier 2020. — © Eddy Mottaz / Le Temps
Philippe Bertschy, directeur général de l'Office cantonal de la détention, photographié en janvier 2020. — © Eddy Mottaz / Le Temps

Il aura tenu près de huit ans à la tête du pénitentiaire genevois, un domaine où règnent la grogne perpétuelle et une pression politique constante. Philippe Bertschy, directeur général de l’Office cantonal de la détention (OCD), a décidé de jeter l’éponge. Dans un tout récent courrier adressé à ses collègues du Département, dont Le Temps a obtenu copie, ce haut fonctionnaire annonce avoir présenté sa démission avec effet au 28 février 2023. Il va rejoindre le Comité International de la Croix-Rouge en qualité d’expert. «Les valeurs et l’action de cette organisation répondent parfaitement aux aspirations qui sont les miennes et c’est avec enthousiasme que je partirai au Niger entreprendre une nouvelle étape de ma vie qui, je l’espère, me réservera de belles aventures humaines», écrit-il.

Cette décision tombe à un moment charnière où la prison de Champ-Dollon, dirigée ad intérim depuis une année par l’ex-chef des commissaires de police, Claude Bettex, s’apprête à expérimenter (encore) une nouvelle organisation. Un modèle qui devrait être présenté en janvier par le ministre de tutelle, Mauro Poggia. Une loi sur la planification pénitentiaire ainsi qu’un projet de destruction-reconstruction-agrandissement de cet établissement vétuste sont également dans le pipeline des commissions du Grand Conseil. Dès le 1er mars, l’intérim à la tête de l’office sera assuré par l’actuelle directrice générale adjointe, Nora Krausz, en attendant de savoir qui va prendre les rênes et chapeauter ce terrain où le feu couve en permanence.

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Mise à l’écart

Il avait toujours dit qu’il tiendrait jusqu’à la fin de la législature, mais la fidélité a des limites. Très contesté parmi les hauts gradés de Champ-Dollon, qui avaient déjà poussé à la démission de leur directeur Martin von Muralt en septembre 2021 (lequel rebondira en devenant le nouveau délégué du Réseau national de sécurité), Philippe Bertschy, 59 ans, était depuis longtemps dans le viseur de ces rétifs au changement.

Soutenu par le conseiller d’Etat, mais pas trop, il avait finalement été sorti du comité de pilotage chargé de jeter un sort à la réforme baptisée «Ambition» et de concocter ce nouveau projet d’organisation interne plus consensuel dont les grandes lignes seront bientôt connues. Cette concession du politique, en forme de désaveu pour Philippe Bertschy, visait surtout à faire baisser la tension chez les mutins de la grande prison qui ne voulaient pas de ce directeur général à la table de réflexion. Difficile sans doute pour ce dernier d’accompagner désormais un concept auquel il n’a pas été directement associé.

Contacté, Mauro Poggia reconnaît la difficulté du poste: «Etre à la tête de l’Office de la détention est une tâche ingrate, car les critiques fusent aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur, quoi qu’on fasse. Philippe Bertschy n’y a pas échappé, mais il a su garder le cap, et assumer les responsabilités de la fonction, de surcroît avec des structures insuffisantes et vieillissantes durant une période de nécessaires réformes.»

Vieilles rancunes

Philippe Bertschy a accompli l’essentiel de sa carrière au sein de la police judiciaire genevoise avant d’être nommé à la tête de cet office en 2015 par Pierre Maudet, alors chargé de la Sécurité, pour mettre en musique une vaste planification et chambouler la gouvernance dans l’univers ultra-sensible de la détention. Le style du nouveau venu fait tout de suite des vagues.

Perçu comme un supérieur intransigeant, cassant, obsédé par le contrôle et la hiérarchie, il s’entend très mal avec Constantin Franziskakis, alors directeur de Champ-Dollon. Un conflit ouvert qui mènera au départ de ce dernier en 2017 (finalement récupéré par la police) et qui nourrira une rancune tenace envers le grand patron. Certains gardiens et autres fidèles du baron déchu de l’établissement en voudront toujours à Philippe Bertschy et le feront savoir.

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Après avoir réussi à froisser son monde, le directeur général parvient tout de même à se maintenir, à résister à l’adversité, à supporter les exigences et la pression du politique, à élaborerun conceptpour mieux s’occuper des détenus en collaboration avec le Service de probation et d’insertion, et surtout à bien gérer la crise du Covid malgré la surpopulation chronique de Champ-Dollon.

Nombreux chantiers

Investir davantage d’énergie dans la resocialisation des détenus, tout en mettant fin au paradigme du gardien tournant, c’était aussi un des axes du projet Ambition qui a déjà perdu son nom et sans doute beaucoup de sa substance. La personne qui prendra la tête de cet office aura la tâche difficile d’accompagner ces nouveaux changements et de calmer les colères. Celle des éducateurs du centre pour mineurs de La Clairière s’exprime fortement ces derniers mois par des grèves à répétition.

En prenant ses fonctions, Philippe Bertschy avait évoqué la phrase de Winston Churchill qui veut «qu’un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté». Il en faut une sacrée dose pour se frotter à l’univers carcéral genevois.

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