Du halal à la cantine scolaire embarrasse Cologny
Genève
Des boulettes de viande halal servies au restaurant parascolaire ont fait s’étrangler une maman d’élève de cette riche commune genevoise. La responsable s’en explique et les autorités bottent en touche, dans un contexte où la laïcité fait débat

Cologny, son coteau, son lac, ses millionnaires, ses étrangers forfaitaires. Sur cette riche colline de la Rive gauche, cousine de Vandœuvres, difficile de ne pas convoquer les clichés. Aussi l’histoire suivante apparaît-elle plutôt cocasse, jouant sur les contrastes.
Au mois de mars dernier, à la cantine parascolaire de l’école primaire du Manoir, un menu halal a été proposé aux enfants qui le souhaitaient. Dans le contexte genevois, où la laïcité provoque de furieux débats, il n’en fallait pas moins pour qu’une maman d’élève se scandalise et écrive au Groupement intercommunal pour l’animation parascolaire (GIAP), demandant des éclaircissements.
Elle y joint la petite brochure sur la laïcité promulguée par le Département de la formation et de la jeunesse (DFJ, ex-DIP). «Comment l’école publique peut-elle proposer des modes alimentaires relevant de confessions religieuses?» confie-t-elle au Temps, désireuse de conserver l’anonymat. Elle nous décrit les pleurs de sa fille devant son assiette, en apprenant les conditions de l’abattage rituel. Une réaction qui, évidemment, n’a pas été de nature à la calmer.
«Les parents auraient dû être informés»
La réponse de la responsable de secteur du GIAP, Marie-Noëlle Clemente, ajoute encore à son courroux. Car celle-ci confirme et lui répond par écrit que ce repas aurait été proposé dans le cadre d’un thème sur les cuisines du monde. «Un repas casher va-t-il également être servi dans le cadre de cette expérience?» s’interroge la maman, s’insurgeant de ce qu’on puisse confondre expérience culinaire et préceptes religieux.
Echaudée, elle s’en ouvre alors au maire de la commune, avec une autre maman d’élève: «Même si ma fille n’était pas présente à ce repas, j’estime que les parents auraient dû être informés, relate cette dernière. Servir du halal ne me dérange pas en soi, mais nous aurions pu préparer nos enfants ou ne pas les envoyer à la cuisine scolaire ce jour-là.»
Dilution des responsabilités
Contactée, Marie-Noëlle Clemente du GIAP se défend d’avoir une responsabilité dans cette affaire: «La nourriture servie dans les cuisines scolaires n’est pas de notre ressort. Nous ne sommes que des partenaires.»
Devant l’aspect polémique du sujet, rien d’étonnant à ce qu’on assiste au jeu bien connu de la dilution des responsabilités. Le département fait savoir lui aussi qu’il n’y peut mais: «Le DFJ ne chapeaute pas le GIAP, qui est 100% communal, explique Pierre-Antoine Preti, porte-parole. Nous ne nous exprimons pas sur ce sujet.»
Pourtant, la conseillère d’Etat Anne Emery-Torracinta avait fait œuvre de pionnière en édictant une brochure sur la laïcité. Mais cela ne concerne que ce qui se passe dans les murs de l’école, rappelle Pierre-Antoine Preti. Et la commune, alors? Nous n’avons pas réussi à joindre le conseiller administratif Bernard Girardet, interpellé au moment des faits.
Chacun sait que lorsqu’il mange un kebab en ville, la viande est halal. Moi, j’ai fait preuve de transparence
C’est donc vers la présidente du restaurant scolaire ColognyCroq, Rosine Siegfried Martin, que les regards se tournent. Et, surprise, celle-ci nous livre une autre version. Contestant avoir organisé un tour du monde gastronomique, mais admettant avoir, ce jour-là, servi des boulettes de viande halal: «J’ai voulu faire plaisir aux musulmans qui d’ordinaire se passent de viande, explique-t-elle. Mais les enfants avaient le choix, puisque nous avions aussi des boulettes non halal, pour ne pas froisser.»
N’y voit-elle pas une atteinte à la laïcité? «Les religions ne m’intéressent pas, répond-elle. Mais chacun sait que lorsqu’il mange un kebab en ville, la viande est halal. Moi, j’ai fait preuve de transparence.» Très remontée, elle évoque, sans grande diplomatie, que les récriminations viendraient d’une famille catholique de stricte observance, dont l’enfant devait faire le carême. Avec une notoire entorse les jours de poulet rôti et de hamburgers, fait-elle malignement remarquer. Ambiance sur la colline.
Ordre de référence
A Genève, le Grand Conseil vient d’adopter une loi sur la laïcité qui aura occasionné plus de deux ans de travaux en commission, et qui vient d’être attaquée par quatre référendums. Inquiètes, des personnalités volent au secours de la laïcité sous forme d’appel. C’est dire si la question divise, avec, d’un côté, ceux qui prêchent tolérance et liberté individuelle et, de l’autre, ceux qui craignent que l’islam politique ne grignote du terrain.
«Si cette école a laissé la liberté de choix, je n’y vois pas un gros problème, estime Jean Romain, président du Grand Conseil et PLR. En revanche, si elle a camouflé cela sous une prétendue découverte gastronomique, c’est sidérant. Car on change l’ordre de référence, masquant le rituel religieux sous la gastronomie.»
«Qualifie-t-on un steak de chrétien?»
La députée PDC Anne Marie von Arx-Vernon prévient: «Cet épiphénomène ne doit pas devenir la règle, comme dans les cantines scolaires de Bruxelles.» Des nuances dont ne saurait s’embarrasser la députée d’Ensemble à gauche Salika Wenger: «C’est du délire! Ce n’est pas à l’école publique de prendre en charge les particularités culinaires de chacun. Les enfants doivent apprendre qu’à l’école républicaine et laïque, on mange ce qu’il y a. Si les parents n’en veulent pas, c’est leur problème. Pour faire plaisir aux enfants, il n’y avait qu’à offrir du chocolat!»
Pour la députée, cette «imbécillité» ne vise qu’à fortifier les communautarismes et à renforcer les ségrégations. Elle va plus loin: si l’école avait servi du halal sans le dire, elle n’y aurait pas vu de problème. «Qualifier des boulettes comme halal revient à qualifier un steak de chrétien.» Par les temps qui courent, le contenu des assiettes devient politique.