Hans Wolff: «Il faut à tout prix empêcher le virus de se propager à Champ-Dollon»
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Le professeur Hans Wolff, chef du service de médecine pénitentiaire à Genève, a mis son équipe sur le pied de guerre depuis le début de la crise. Un premier détenu, transféré de Frambois, a été testé positif ce samedi à Champ-Dollon. Interview

La crainte d’une propagation du Covid-19 est particulièrement forte dans le milieu carcéral. A Champ-Dollon, prison chroniquement surpeuplée, où se mélangent prévenus et condamnés en exécution de peine, le nombre de détenus est tombé de 657 à 597 en une semaine, pour un total de 398 places. Des efforts ont été consentis pour faire baisser les entrées, notamment en limitant les arrestations aux cas d’une certaine gravité et en reportant l’exécution de certains séjours programmés.
Dans un courrier daté du 20 mars, l’Ordre des avocats de Genève demande aux autorités d’aller plus loin en activant une disposition qui permet d’octroyer la libération conditionnelle au détenu ayant déjà purgé la moitié de sa peine «si des circonstances extraordinaires qui tiennent à sa personne le justifient» et en octroyant plus largement la liberté provisoire à ceux qui ne présentent pas un danger pour la société. Pas sûr que l’argument va porter. Sur son site, le pouvoir judiciaire prie en effet les avocats de renoncer à déposer des demandes fondées sur le risque sanitaire, «ce seul motif ne justifiant pas en l’état la mise en liberté». La situation est pourtant préoccupante. Le point avec le professeur Hans Wolff, chef du service de médecine pénitentiaire à Genève.
Le Temps: Comment évolue la situation à Champ-Dollon?
Hans Wolff: Un premier cas a été confirmé samedi soir mais il n’est pas endogène. Il s’agit d’une personne transférée depuis le centre de détention administrative de Frambois au moment de sa fermeture et qui a probablement été infectée là-bas par un agent. J’avais donné mon accord à l’accueil de cinq détenus de Frambois car il aurait été irresponsable de les laisser sortir sans possibilité d'expulsion et sans autre encadrement. Ils ont tous été placés en isolement et toutes les mesures de précaution ont été prises lors du transfert.
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Quelles sont les mesures pour éviter une flambée en prison?
Nous sommes sur le pied de guerre. On teste tous ceux qui ont des symptômes suspects et pas seulement les personnes à risque ou présentant des manifestations graves. Un quartier spécial est réservé pour tous les nouveaux arrivants. Il faut savoir que plus la promiscuité est grande, plus le risque d’infecter un nombre important de personnes s’accroît.
La gestion de cette crise est extrêmement complexe et la surpopulation carcérale rend les choses très difficiles. Quand il y a un cas suspect, il faut pouvoir isoler le malade mais aussi mettre ses codétenus en quarantaine pour une dizaine de jours. A défaut de place, ces mesures font monter le taux d’occupation dans les autres cellules.
Quel est votre objectif?
Il nous faut à tout prix empêcher le virus de se propager au sein de la prison. Un tel scénario est susceptible de peser lourdement sur les urgences et même sur les places aux soins intensifs de l’hôpital, et nous faisons tout pour l’éviter. Les flux ont été repensés afin d’organiser un piquet médical nocturne destiné à suivre les personnes avec symptômes et gérer les urgences à la prison sans débordement à l’hôpital. Cela demande des ressources que nous n’avons plus et le personnel est fatigué. Nous devons donc faire des choix et nous concentrer sur l’essentiel.
Les détenus sont-ils forcément plus à risque?
C’est difficile à dire dans l’absolu. On a déjà identifié ceux qui présentent des pathologies chroniques et ceux qui sont âgés. Nous avons abaissé la limite à 60 ans car, à âge égal, les détenus montrent plus de maladies en raison d’un cumul de mauvais déterminants pour la santé. Les personnes à risque sont isolées mais elles ne sont pas placées ensemble afin de prévenir une hécatombe si un cas venait à se déclarer dans le groupe. Il faut aussi savoir qu’il y a davantage de gros fumeurs en prison et que le tabagisme prédispose à une évolution défavorable de la maladie.
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Les détenus sont-ils inquiets?
Il y a une grosse inquiétude liée à cette situation de confinement. Le service médical a rencontré l’ensemble des détenus pour les informer, répondre aux questions et les préparer à d’autres mesures éventuelles. Il s’agit aussi d’éviter les mouvements de révolte comme dans les prisons de certains pays.
Je suis très satisfait de constater que les autorités genevoises sont conscientes du bien-être des détenus et que les visites, avec prise de température et observation d’une distance stricte, n’ont pas été supprimées. Une telle attitude est raisonnable et prévient aussi le risque d’émeute.
Les agents de détention peuvent également être vecteurs ou victimes. Comment les protéger?
Il y a également une énorme inquiétude de leur côté. Ils doivent faire attention à ne pas importer le virus dans la prison et se soumettre chaque fois à un contrôle de symptômes. Sur place, des masques sont portés dans les zones à risque, la distance est maintenue autant que possible et un nettoyage des surfaces est pratiqué régulièrement.
Quelle est la situation ailleurs en Suisse romande?
Toutes les prisons en Romandie se préparent à gérer (et isoler) les patients le cas échéant. Je fais régulièrement le point avec mes collègues dans d’autres prisons. Ainsi nous échangeons sur des bonnes pratiques et les informations utiles. Les prisons sont un milieu à risque pour le Covid-19, en particulier les prisons préventives, en raison de mouvements de personnes détenues fréquents et surtout en raison de la surpopulation, qui augmente fortement le risque de contamination.